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LE DRAPEAU BLANC

Puis ses regards se portèrent sur la façade de l’auberge. Ses belles lèvres se plissèrent encore de dédain.

— Ô mon Dieu ! murmura-t-elle avec une sainte horreur, quel endroit pour des voyageurs comme nous !

— Soyez tranquille, chère amie, dit Péan en l’entraînant vers la porte de l’auberge, après que Foissan eut fait tinter la cloche d’argent, maître Hurtubise va nous ouvrir et vous trouverez à l’intérieur un certain confort qui vous fera oublier les fatigues de ce rude voyage.

— Mais j’espère bien que vous ne me retiendrez pas trop longtemps dans ce bouge.

— Une heure tout au plus, juste le temps de laisser reposer les chevaux.

Ils s’arrêtèrent sous la véranda devant la porte de l’auberge dont l’intérieur demeurait toujours sombre et tranquille.

Péan frappa dans la porte du pommeau de son épée, criant :

— Ohé ! maître aubergiste, allez-vous refuser d’ouvrir votre porte au sieur Hughes Péan, à sa dame et à ses gens ?

Ce nom de Péan parut faire l’effet d’un sésame sur le propriétaire de l’établissement. Sa voix se fit entendre immédiatement du premier étage.

— Minute ! minute ! excellence, je m’habille et je descends. Je venais justement d’entendre le bruit de votre voiture… Patientez ! je réveille mes gens, je ravive le feu, je dresse le couvert.

Et maître Hurtubise, qui était tout habillé et qui sans cesse avait ses serviteurs sous la main, descendit en bas quatre à quatre et ouvrit toute grande sa porte. Déjà les serviteurs rallumaient toutes les lumières de l’établissement. Les feux étaient ravivés, les cuisiniers et marmitons s’agitaient fébrilement dans les cuisines bruyantes d’ustensiles et de vaisselles, les valets d’écurie enlevaient les chevaux de la berline, tout marchait avec une rapidité et une entente merveilleuses… c’était presque de la magie !

— Décidément se mit à rire Péan vous feriez un bon général d’armée, maître Hurtubise.

— Entrez, entrez, excellences…

L’aubergiste s’effaçait, courbé en deux, au risque de faire craquer le bel abdomen dont il était si fier.

Court, gros et gras, et haut en couleurs, maître Hurtubise était fort ventru. Très soigneux de sa personne, comme tout bon célibataire qui ne désespère pas encore de trouver femme à son goût, ses soixante ans n’y paraissaient pas. Et alerte et fort vigoureux, il fleuretait volontiers avec le beau sexe pour lequel il conservait la plus vive admiration.

Aussi l’apparition de Mme Péan, qu’il n’avait jamais vue, mais dont il avait à maintes reprises entendu vanter les charmes et la beauté, l’éblouit à ce point qu’il recula vivement, se courba davantage, s’aplatit pour se redresser à demi et laisser ses yeux extasiés détailler tous les avantages de la superbe créature.

Mme Péan sourit d’orgueil satisfait.

Le digne aubergiste manqua de perdre haleine, croyant que ce sourire était exclusivement pour lui, tant il lui avait paru séducteur. Il essaya de faire une révérence de cour ; puis avec un large sourire il dit, regardant plutôt la jolie femme que son mari :

— Excellences, excellences… il y a là-haut des appartements privés tout prêts à vous recevoir… Je vous conduis.

La salle commune se trouvait maintenant vivement illuminée de ses lustres et de ses lampadaires. L’aubergiste courut à une table et prit un candélabre pour conduire ses visiteurs au premier étage.

— Minute, commanda Péan.

Il fit entrer ses gardes et cadets ainsi que les soldats de Vergor dans la grande salle, et recommanda à Foissan de veiller à leur confort.

— Vois, mon ami, à ce que tout notre monde soit bien traité, nos chevaux bien portionnés, puis tu viendras nous trouver là-haut.

Et très digne, très hautain, le sieur Péan offrit son bras à sa femme et suivit l’aubergiste vers un bel et large escalier de bois blanc placé dans un angle, à gauche, de la vaste salle.

L’arrivée de ces grands personnages avait mis l’auberge en émoi, non seulement parmi les serviteurs, mais aussi parmi les voyageurs qui, très inquiétés par la bataille qui avait eu lieu sur la place de l’auberge, n’avaient pu se résigner à se coucher pour dormir. Alors, sûrs de ne pouvoir reposer dans le grand brouhaha qui bouleversait l’établissement, ils quittèrent leurs appartements et descendirent à la salle commune pour s’y égayer tout en se