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Page:Féron - Le drapeau blanc, 1927.djvu/42

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LE DRAPEAU BLANC

sans descendre de cheval, sonna la cloche.

Un serviteur accourut.

— Hé l’ami ! cria le cavalier, peux-tu me dire si maître Hurtubise est sur pieds et s’il est possible de lui demander un renseignement ?

Cette voix sonore et d’un accent impératif était celle du capitaine Jean Vaucourt.

— Maître Hurtubise est debout, monsieur, répondit le serviteur, et je cours le quérir.

— Inutile, mon ami. Je descendrai de cheval pour entrer et vider une tasse de vin chaud.

— Si vous voulez donner une portion à votre cheval… fit le serviteur.

— Non, il ira bien ainsi jusqu’à Batiscan.

Le capitaine avait sauté à terre, attaché le cheval à la véranda et suivi le domestique dans l’auberge. Mais à la vue des gardes de Bigot, il rabattit vivement son tricorne sur ses yeux, releva le collet de son manteau et traversa rapidement la salle vers la cuisine, où il venait d’apercevoir la corpulente silhouette de l’aubergiste qui dirigeait cuisiniers et marmitons.

— Ah ! ah ! maître Hurtubise, s’écria Vaucourt en entrant dans la cuisine, il paraît que nous hébergeons cette nuit des voyageurs de marque, si je me base sur la magnifique berline qui voisine à votre porte avec la diligence du postillon.

— Oh ! monsieur le capitaine, répliqua l’aubergiste avec un large sourire et une longue révérence, ces voyageurs de marque sont peu de chose près de vous. À votre service, monsieur le capitaine, à votre service !

— Ma foi, maître Hurtubise, rien qu’une tasse de vin chaud à cette table et près de ce feu. Décidément, la nuit est plutôt fraîche.

— Il gèle, il gèle à blanc, monsieur le capitaine, c’est encore l’hiver qui s’en vient !

Il ordonna à un marmiton de faire chauffer du vin pour le capitaine.

Celui-ci s’était assis à une table placée près d’une cheminée, avait retiré ses gants et allongé les pieds vers les chenets. L’aubergiste poussa un fauteuil près du foyer, à deux pas du capitaine, s’assit lourdement, poussa un énorme soupir, et dit en bâillant :

— On me permettra bien, capitaine, de me reposer les jambes un tant soit peu. Ah ! quelle corvée, quelle corvée depuis deux jours !

— Signe que les affaires vont rondement ! sourit Vaucourt.

— Je vais vous dire, monsieur le capitaine, c’est par secousses. On est là à flâner tout un jour, puis, tout à coup, pan ! la maison déborde… Alors, on ne sait plus où fourrer la tête. Tout de même, je n’ai pas à me plaindre et j’arrive toujours à tirer mon épingle du jeu. À propos, monsieur le capitaine, est-ce qu’un de mes serviteurs ne m’a pas dit que vous désirez me demander un renseignement ?

— Tout juste, maître Hurtubise. Je désire m’informer d’un cavalier qui a dû passer par ici une heure ou deux avant moi.

L’aubergiste leva une main vers son interlocuteur comme pour le prévenir de n’en pas dire davantage, il sourit avec mystère, jeta un regard défiant vers la salle commune, vers le plafond, puis ramena ce regard sur le capitaine ; et, se penchant et baissant la voix, il souffla :

— Chut… monsieur ! Vous voulez parler de Monsieur Flambard ?

— Ah ! ah ! il s’est donc arrêté ?

— C’est-à-dire qu’il a été arrêté par une bande de malandrins, de maraudeurs, de couards, de sacripants, de gredins… enfin par des gens qu’on a dit être des gens de Monsieur l’intendant. Mais chut !… Voyez ces gardes et cadets de Monsieur Bigot et ces soldats de Monsieur de Vergor !

— Ce sont eux qui…

— Eux et d’autres, sourit l’aubergiste. Ah ! fichtre ! la belle équipée que monsieur Flambard leur a jouée ! Flic et flac, v’lan et pan ! un vrai tour de passe-passe, une volée, une ruade, un zigzag d’éclair, je n’ai jamais rien vu de pareil en ma vie ! Si bien que la bande, qui ne cherchait sans aucun doute que de l’occire par traîtrise et à tout jamais, n’en a vu que vide et vent… Quatre morts et deux blessés, parlez-moi de ça !

Vaucourt se mit à rire.

— Ainsi donc il a continué son chemin ?

— S’il l’a continué… Un éclair, un coup de vent, pouf ! il a disparu. Ah ! quel homme, quel homme ! s’écria avec une grande admiration l’aubergiste.