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LE DRAPEAU BLANC

Vaucourt fronça les sourcils et parut méditer. Un valet, revenant de l’écurie avec sa lanterne, passa près de là.

Le capitaine l’arrêta.

— Mon ami, dites-moi si à l’écurie ne se trouvent pas des gardes de Monsieur Bigot et deux grenadiers ?

— Il n’y a plus personne aux écuries, monsieur.

— C’est bien, dit Vaucourt.

Puis, revenant à l’officier de Bougainville :

— Monsieur, je ne vous en veux pas de les avoir laissés s’esquiver, car c’est peut-être une bonne chose de nous voir débarrassés de ces coquins. Au reste, nous tenons bien solidement les deux prisonniers qui nous intéressent le plus.

Sur ce, le capitaine retourna auprès de M. de Vaudreuil qui venait d’entrer en conférence avec ses officiers. Depuis un moment Héloïse, accompagnée d’une servante de l’auberge, était remontée à son appartement.

Comme il n’est rien d’intéressant pour le lecteur dans le cours de la nuit qui suivit, nous passerons de suite au matin suivant.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

En cette matinée, vers les dix heures, juste au moment où Monsieur de Vaudreuil venait de descendre de son appartement, et alors que ses officiers s’empressaient autour de lui pour lui souhaiter le bonjour, Péan parut.

Comme la veille, la place de l’auberge était remplie d’une foule remuante, triste ou joyeuse, et qui commentait à voix haute ou basse les événements des derniers jours. Dès les six heures du matin la dernière colonne de l’armée de Beauport s’était remise en route pour la rivière Jacques-Cartier suivie de tout le train des vivres et munitions et de l’artillerie. Il ne restait au village que les cinquante cavaliers de Bougainville et une escorte de cavalerie sous les ordres de La Rochebaucourt ; cette escorte devait accompagner les trois berlines qui transportaient le gouverneur et les fonctionnaires de son entourage. M. de Vaudreuil avait encore quelques messages à écrire et quelques conférences à tenir avec ses officiers, et il avait annoncé son départ pour la fin de ce jour, voulant voyager de nuit afin de rencontrer M. de Lévis au grand quartier général le lendemain, 16 septembre.

Péan se présenta à M. de Vaudreuil avec une mine fort hautaine. D’une voix, qui voulait imposer, il demanda, tout en décochant un regard aigu vers Bougainville :

— Excellence, puis-je vous demander de faire lever immédiatement une stupide consigne qui, depuis hier, nous ferme les portes de cette auberge ?

— Vraiment, monsieur ? s’écria Vaudreuil avec une feinte surprise, car il avait été instruit par Bougainville du complot qu’on tramait contre la capitale.

Croyant que le gouverneur ignorait le fait, Péan reprit en laissant peser son regard sombre sur Bougainville :

— Je vous prie, Excellence, de vous en assurer auprès de Monsieur !

Vaudreuil se tourna vers Bougainville avec un regard interrogateur.

Bougainville sourit.

Monsieur le gouverneur, dit-il, il m’a été suggéré hier, pour certains motifs de sûreté et de prudence, de donner l’ordre d’empêcher l’entrée ou la sortie des gens à moins d’un laisser-passer du capitaine Vaucourt. Mais cet ordre ne concernait personne en particulier, et à présent il vous appartient de lever ou de maintenir la consigne.

— Et vous avez dit, Monsieur de Bougainville, pour de hauts motifs de sûreté et de prudence ? demanda Vaudreuil froidement.

— Je le répète, Excellence.

— Mais alors, sourit M. de Vaudreuil, je ne saurais prendre sur ma responsabilité de lever telle consigne.

Il ajouta, se tournant vers Péan :

— Monsieur, s’il est nécessaire, une fois entré en cette auberge, de demander un permis au capitaine Vaucourt pour en sortir, veuillez croire que je me conformerai à cette consigne dès que l’heure de mon départ aura sonné.

Et sans plus s’occuper de Péan, il regarda ses officiers et s’écria :

— Ah ! messieurs, messieurs… l’heure passe et j’ai encore beaucoup de travail à faire !

Humilié et frémissant de courroux, Péan pivota sur ses talons et regagna son appartement, méditant déjà les plus affreux projets de représailles. Il grommelait, les dents serrées :

— Oh ! il ne sera pas dit que j’aurai été outragé impunément.

Lorsqu’il arriva à son appartement, il vit que sa femme était entourée de Varin, Estèbe et Maurin. Mais il vit aussi une porte close derrière laquelle se trouvait une belle jeune femme, celle du capitaine Vaucourt. Il eut une idée diabolique, idée qui lui venait de