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LE DRAPEAU BLANC

— Alerte ! cria Regaudin.

Tous deux se jetèrent à bas, tirèrent leurs rapières et barrèrent résolument la route.

La troupe s’arrêta net, et les deux grenadiers reconnurent Foissan et ses gardes.

Il y eut d’abord un moment de surprise de part et d’autre. Mais soudain Foissan tira un pistolet de sa ceinture et, le braquant sur Pertuluis, cria :

— Arrière… ou je tire !

Les deux grenadiers foncèrent l’épée haute en criant :

— Taille en pièces !

— Pourfends et tue !

Un coup de feu partit, une balle écorcha l’oreille gauche de Pertuluis, puis un choc se produisit…

Au milieu d’un flot de jurons, les deux grenadiers furent renversés, piétinés, meurtris, tant et si bien qu’il leur sembla que toute une armée leur passait sur le corps, ils pensèrent que leur dernière heure était venue. Et déjà la troupe de Foissan était loin que les pauvres diables demeuraient immobiles, mais vivants, sur le milieu du chemin.

Mais un rire strident et nasillard éclata soudain près d’eux. Les deux grenadiers se levèrent d’un seul bond et, ébahis, se trouvèrent nez à nez avec Flambard… Flambard déchiré, couvert de poussière, sanglant, qui avec son accent ironique, s’écria :

— Par mon âme ! amis grenadiers, quelle belle rencontre !

— Ah ! Ah ! fit Pertuluis tout suffoqué de se voir en présence du terrible spadassin, il parait donc que c’est vous que ces cuistres de gardes mousquetaient tantôt ?

— Non ! répondit en riant Flambard. Mais c’était ma monture. Pauvre bête ! Je passais avec elle sur le bord d’un haut ravin, et tout à coup han !… roule, boule et soûle ! Elle est là anéantie !

Et le spadassin avait fait le geste d’un éboulement.

— Oh ! oh ! fit Regaudin, et c’était un ravin profond ?

— Très profond, admit Flambard.

— Et votre quatre-vent a sauté dedans ? fit Pertuluis.

— Juste, et moi avec ! se mit à rire le spadassin.

— Non !… s’écria Pertuluis avec stupeur.

— Si ! dit Flambard. Vingt toises au moins. Ah ! je m’en souviens. Une chute inouïe, une dégringolade sans pareille, une tombée dans l’enfer peut-être, et v’lan, j’enfourche un saule… voyez ma capote !

— Oui, dit Regaudin avec compassion, elle est pas mal déchiquetée.

— Ainsi donc, ces bélîtres de Bigot vous ont poivré franc ? demanda Pertuluis.

Ça ne se demande pas, reprocha Regaudin à son camarade, vois les quatre trous dans le bonnet de Monsieur.

Flambard examina son tricorne.

— C’est vrai, dit-il.

— Et ce sang ? interrogea Pertuluis. Car vous me paraissez avoir quelque chose de fracassé.

— Le sang de ma bête, sourit Flambard. Voyez-vous j’ai roulé avec, on a déambulé tous les deux dans les airs, on s’est embrassé, on s’est entretenu et on ne s’est lâché qu’au précieux saule.

— Si bien que ça été une vraie débauche ! remarqua Pertuluis.

— J’en suis tout soûl encore, partit de rire le spadassin. Mais dites-moi la truandaille ?

— Évanouie ! murmura Pertuluis.

— Même qu’elle nous a quelque peu passé sur le ventre ! gémit Regaudin en tâtant son abdomen endolori.

Les deux grenadiers, alors, racontèrent leurs aventures depuis le soir où le père Croquelin avait accepté leur escorte.

— Mais alors, s’écria Flambard ravi, pour vrai ou pour faux, vous êtes des amis à présent ?

— Pour vrai, tout plein, se mit à rire Regaudin. Voyez-vous on a déserté les cliquagnards !

— Fichtre ! exclama Flambard émerveillé. On la tope donc ? demanda-t-il aussitôt.

— En plein dans le battoir, répondit Pertuluis en tendant sa main de géant.

Un trio de rires s’éleva dans l’espace.

Puis sérieux cette fois, Flambard reprit :

— Et vous dites, amis grenadiers, que le gouverneur est à la Pointe-aux-Trembles, ainsi que Péan, ainsi que… Mais alors pas de temps à perdre, camarades. En route ! Ordre du général Monsieur de Lévis !

Et vu que le spadassin se trouvait sans monture, il sauta en croupe avec Regaudin, et les trois grenadiers prirent à toute allure le chemin de la Pointe-aux-Trembles.

Et nous savons comment ils y arrivèrent.