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Page:Féron - Le drapeau blanc, 1927.djvu/78

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LE DRAPEAU BLANC

Péan aller jeter un papier quelconque en bas de la terrasse. Pourtant la jeune femme ne s’étonna pas autrement, croyant que Mme Péan essayait un moyen de communiquer avec des amis du dehors dans l’unique but de recouvrer sa liberté. Elle ne songea donc pas à déranger son mari, qui se trouvait dans la pièce voisine. Mais quand Flambard lui parla du joueur de fifre et de sa soudaine disparition, alors Héloïse crut opportun d’instruire Flambard de ce qui s’était passé sur la terrasse.

Flambard se sentit pris d’inquiétude à cette nouvelle. Il appela le capitaine à qui il confia le geste de Mme Péan, ajoutant, soucieux :

— Diable ! capitaine, je me demande si ce vieux sauvage, ce joueur de fifre ne serait pas ce Foissan, ce gueux, ce piffre, ce chipotier, cette racaille de racaille ? Car n’a-t-il pas joué, comme je me le rappelle à présent, des airs italiens ! Par les deux cornes…

Il s’interrompit devant Héloïse qui le regardait avec inquiétude.

— De sorte, dit Jean Vaucourt, qu’il y aurait connivence entre Foissan et les prisonniers.

— Je pense, émit Héloïse, que les prisonniers cherchent un moyen d’échapper à leur captivité.

— C’est ce qui n’arrivera pas, déclara Flambard avec fermeté, car de suite je vais aposter des sentinelles sur la terrasse.

Et sans plus il alla donner des ordres, et deux domestiques furent chargés de demeurer en permanence sur la terrasse.

Le jour obscurci par les nuages fuyait plus tôt, et bientôt Maître Hurtubise fit allumer ses lustres et ses lampadaires.

À ce moment, la porte de l’auberge s’ouvrit sous une poussée violente, une femme parut, suffoquée, hors d’haleine et cria :

— Sus aux traîtres !

Flambard, qui venait de descendre dans la salle, lança ce nom avec un accent fort surpris :

— Rose Peluchet !

L’entrée de la servante de la mère Rodioux produisit une sensation.

Flambard bondit jusqu’à la jeune fille, qui venait de se laisser choir sur un siège, comme pour lui porter secours.

Pertuluis s’élançait aussi avec un carafon à demi vidé, et disait :

— Ventre-de-grenouille ! il faut la rechimauder, elle expire, la bochette !

Regaudin versait du vin dans une coupe, et disait :

— Mademoiselle, quelques larmes de ce nectar, ça vous remontera la chambranle !

Les deux grenadiers titubaient à faire peur.

La jeune fille accepta de boire quelques gorgées.

Tout le monde l’entourait maintenant en gardant un grand silence. Elle, reprenait vent peu à peu, et son sein en tumulte s’apaisait de moment en moment.

Elle sourit à Flambard et aux deux grenadiers, et prononça faiblement :

— Je me sens plus forte !…

— Tant mieux, dit Flambard. On a assez mangé d’espace, à ce que je vois, pour qu’on en laisse tomber à présent quelques aunes ?

— Ah ! on voit bien que vous ne savez pas ce qui se passe, vous autres qui riez ! fit la Pluchette en jetant un regard circulaire autour d’elle.

— Ah ! ça, s’écria Flambard, vous n’allez toujours pas nous dire que vous avez vu le Drapeau Blanc ?

— Non… mais j’ai vu le gueux qui le fera hisser !

— Le gueux ? demanda Flambard dans un grondement terrible, qui ça ?

— Eh oui ! répondit Rose Péluchet encore haletante, ce traître, ce ribaud, ce lâche, ce Foissan…

— Foissan ! cria Flambard en pâlissant.

— Et c’est clair, reprit la Pluchette. Le forgeron venait d’achever de rafistoler notre berline. On s’embarquait, moi, ma sœur et mon beau-frère. Le père Croquelin venait de monter sur le siège. Mais voilà que surgit comme un ouragan une douzaine de gardes commandés par Foissan. Ce fut vite fait : le père Croquelin alla rouler dans la poussière du chemin, nous fûmes saisis et jetés, à notre tour par les portières. Encore un coup, et pan ! la berline décampe vers Québec, Foissan dans la boîte, et deux gardes sur le siège du cocher. On n’a plus vu qu’un tourbillon de poussière, on n’a plus entendu qu’un roulement de tonnerre dans le lointain. Une seule chose, le père Croquelin, qui ne perd jamais la tête, a sauté sur les ressorts d’arrière de la voiture qui l’a emporté dans une course d’enfer. Alors, moi, j’ai couru ici !