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LE DRAPEAU BLANC

Mais Flambard n’avait pas écouté jusqu’au bout le récit de Rose Peluchet. Une idée terrible, un soupçon plutôt l’avait frappé rudement : Foissan courait vers la capitale pour délivrer le faux message à M. de Ramezay.

De suite il avait rugi :

— Un cheval, maître Hurtubise… le meilleur… au galop, hop !

Des valets se précipitèrent vers l’écurie.

Et Flambard disait à Rose avec inquiétude :

— Pourvu que je puisse les rattraper !

— Faut pas oublier que le père Croquelin est là, s’il n’a pas dégringolé de la bagnole.

— Oui, dit Flambard, le père Croquelin fera tout en son pouvoir pour faire rater la trahison. N’importe ! il faut que je rattrape les traîtres !

L’auberge était déjà toute remplie de cette rumeur effrayante :

— Trahison ! trahison !… on va hisser le Drapeau Blanc !

Vaucourt accourait au moment où Flambard sautait en selle.

— Capitaine, dit le spadassin, veillez sur les prisonniers. Si j’arrive et que le Drapeau Blanc a été arboré, je l’arrache et vais le jeter à la face du grand traître… Bigot !

Il éperonna violemment sa monture et partit dans un galop de tonnerre.

Tandis que retentissait encore le galop du spadassin, deux personnages sur la véranda tenaient le colloque suivant :

— Ventre-de-grenouille ! Regaudin, et notre magot ?

— C’est vrai, Pertuluis, notre coffre, biche-de-bois ! Si on livre la ville, on livre aussi notre trésor !

— Faut aller à son secours !

— Même s’il nous faut passer sur la panse des Anglais !

— Enfourchons ! suggéra Pertuluis.

— Ah ! que non pas, dit Regaudin. Oublies-tu que notre coffre est trop lourd pour l’accrocher à nos selles ?

— Tiens ! tu as raison, Regaudin, répondit Pertuluis avec découragement.

— Oui, mais, reprit Regaudin, on a encore notre Monaut, notre bon Monaut, notre vieux Monaut !…

— Et notre berlingot, ajouta Pertuluis. Au galop donc !

— À Monaut !

— Au cabriolet !

Il ne fallut que quelques minutes aux deux grenadiers pour atteler et partir à toute vitesse sur la route de Québec, à l’insu des gens de l’auberge. Les deux grenadiers entendaient encore le galop qui emportait Flambard.

— On sera pas loin derrière ! dit Pertuluis, dont la voix tremblait aux cahotements du cabriolet.

— Oui, dit Regaudin, si on ne le rattrape pas !

Il asséna deux rudes coups de fouet sur la croupe du cheval, disant :

— Allons ! allons, mon p’tit Monaut, il n’y a pas à regimber, si on veut pas que les Anglais nous escamotent notre coffre… hop donc !…

Le cabriolet s’évanouit sur la route et dans la nuit qui tombait rapidement.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Après la joie, la douleur ! Après le calme, l’orage ! Une sorte de funèbre pressentiment pesait sur les hôtes de l’auberge après le départ du spadassin. Les conversations animées et bruyantes, s’étaient changées en murmures et en chuchotements sur chaque visage on lisait l’inquiétude et la crainte. Plusieurs des villageois et paysans avaient à pas étouffés et timides regagné leurs foyers ; d’autres n’avaient pas eu ce courage qu’ils n’eussent eu des nouvelles rassurantes. Toute cette nuit fut passée dans l’attente d’une joie ou d’une catastrophe. Ceux qui espéraient, c’étaient ceux qui gardaient à l’esprit l’image de Flambard qui, seul pouvait faire échouer la trahison. Chez d’autres, la vision d’un Drapeau Blanc au-dessus de la capitale, et les trois coups de canon qui l’annonceraient à l’ennemi, détruisaient à demi la confiance et l’espoir.

Dans le gris du matin suivant, le peuple faisait masse sur la place de l’auberge, les yeux tournés vers la Capitale, avec l’espoir d’y voir venir un courrier de bonne fortune, ou la crainte d’entendre les trois coups de canon fatidiques. Le curé de la paroisse faisait entendre à tous sa parole d’encouragement et d’espoir. Mais les esprits demeuraient tendus, ils redoutaient quand même le malheur qui planait sur toutes les têtes.

Là-haut, dans les appartements du Capitaine Vaucourt, la même tension d’esprit régnait. Héloïse de Maubertin et Rose Pe-