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LE DRAPEAU BLANC

luchet, agenouillés devant un crucifix, priaient avec ferveur. Le petit Adélard s’amusait silencieusement près de la cheminée avec des jouets quelconques. Quant au capitaine, il arpentait fiévreusement la pièce, et sans cesse son oreille demeurait attentive aux bruits du dehors.

Chez les Péan, l’inquiétude régnait aussi.

— Ah ! disait parfois, Mme  Péan le sein agité, que je souhaite que Foissan soit arrivé à temps !

— Il arrivera, assurait Péan. Il avait tant d’avance sur Flambard…

Onze heures sonnèrent aux horloges de l’hôtellerie.

Un choc soudain fit trembler les hôtes de l’auberge et le peuple sur la place : dans le grand et lourd silence qui tombait sur la terre, les échos apportèrent à quelques secondes d’intervalle les trois coups de canon qui annonçaient que tout était consommé.

Non… Flambard n’était pas arrivé à temps !

Vaucourt tomba sur un siège, écrasé de chagrin et de rage impuissante.

Péan et sa femme s’embrassèrent dans leur triomphe infernal.

Dehors, le peuple parut s’anéantir… il s’éclipsa silencieusement comme peut s’effacer l’ombre d’un spectre dans les voiles d’une nuit mystérieuse.


XIX

LE DRAPEAU BLANC


Quand Flambard atteignit Saint-Augustin, la nuit était tout à fait venue.

L’obscurité ne parut pas l’inquiéter, et il se jeta à la même allure vertigineuse dans la route de la Lorette, route sinueuse, rocailleuse, raboteuse, et difficile de passage par les nombreux et profonds ravins qui la coupaient. Mais il dut ralentir dans la pente d’un ravin plus profond, pente qui aboutissait à un pont jeté sur un torrent. Et devant ce pont il s’arrêta tout à fait, car le pont lui parut dangereux autant qu’il y put voir dans les ténèbres. Ce pont n’avait aucun garde-fou, ce n’était qu’une pièce uniforme de madriers assemblés soutenus par des poteaux. Sur un côté deux de ces poteaux avaient été cassés au passage de la lourde artillerie de l’armée de Beauport, si bien que le pont penchait terriblement vers le torrent qui grondait. Un homme pouvait toujours passer ; mais il y avait danger pour un cheval de glisser et de rouler dans le torrent. Que faire ?

Flambard examinait le pont et réfléchissait. Il y avait un moyen : lancer sa monture à toute épouvante. Le pont n’était pas large, quarante pieds au plus. Il prit sa résolution, et éperonna rudement le cheval en le commandant. Mais la bête, ayant fait un bond en avant fut saisie de crainte et se cabra si brusquement que le spadassin faillit être désarçonné du coup.

— Ah ! diable ! maugréa-t-il, est-ce qu’on a peur à présent de mettre ses pattes sur un pont de ruisseau !

Il sauta à terre et tira son cheval après lui. Le pont frémissait et ployait légèrement sous le poids de l’homme et de la bête qui n’avançait que prudemment et en renâclant. Et à mesure que Flambard avançait le pont penchait davantage, de sorte que le cheval commença à glisser peu à peu.

— Par mon âme ! murmura le spadassin, allons-nous dégringoler dans ce torrent ?

Le cheval fit tout à coup un écart au moment où ses pieds de derrière venaient de glisser, le pont craqua si fort que la bête fut saisie d’épouvante. Elle se cabra de nouveau, elle glissa tout à fait, tomba sur le pont qui craqua encore, et elle roula dans le torrent. Flambard lui-même faillit la suivre ; mais il lâcha à temps la bride pour s’agripper aux madriers du pont et se sauver d’un bain glacé. Il entendit sa monture se débattre violemment dans l’eau du torrent, puis un long hennissement partit sous le pont même, et Flambard comprit que le cheval était entraîné et que tout était perdu.

— Allons ! me voici bien emmanché ! grommela-t-il.

Il se mit debout et prêta l’oreille : il n’entendit plus que le rugissement de l’eau qui dévalait avec violence dans le ravin vers le fleuve.

Le spadassin se sentit rongé de dépit. Il pensait à Foissan, aux traîtres, au message au Drapeau Blanc ! Ah ! non, à présent, il n’arriverait plus à temps ! Il estima qu’il lui restait au moins quatorze à quinze milles à parcourir pour atteindre Québec. Même en s’élançant à toute course il serait en retard, attendu que Foissan devait