Page:Féron - Le patriote, 1926.djvu/12

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— Bravo pour les Canadiens ! s’écria Hindelang.

Et se dressant d’un bond, il saisit son verre rempli de vin de France, l’éleva et prononça d’une voix claire et forte :

— Monsieur, je bois au Canada et à son indépendance politique !

— Que Dieu vous entende, jeune homme ! dit tout à coup une voix profonde et grave.

Hindelang se retourna et aperçut avec surprise un personnage qui venait d’entrer dans le réfectoire.

Hindelang laissa flotter son regard curieux sur cet homme grave, très distingué, au visage empreint d’une douce mélancolie et dont l’âge semblait dépasser la quarantaine, bien que cet homme n’eut pas tout à fait quarante ans.

Et avant qu’Hindelang n’eût prononcé une parole, M. Rochon se levait vivement, la main tendue vers le nouveau venu, et disait :

— Ah ! mon cher Duvernay… comment vous portez-vous ?

— Assez bien, merci.

— J’avais des nouvelles à vous donner, mais ayant appris que vous étiez souffrant, je n’ai pas osé me présenter.

— Ce n’était rien de grave, je vous assure, sourit M. Duvernay.

— Tant mieux, je suis content. Tenez, mon cher ami, je vous présente à mon compagnon de table, monsieur Hindelang, arrivé de France hier, que les malheurs de notre pays ont profondément touché.

M. Duvernay tendit sa main au jeune homme, disant :

— Monsieur Hindelang, j’aime serrer la main d’un frère français, et encore mieux d’un frère français qui sympathise avec nous.

— Ah ! monsieur, s’écria Hindelang, je vois que vous êtes aussi victime de la convoitise saxonne.

— Oui. Et ici, à New-York, vous trouverez un bon nombre de nos compatriotes qui ont dû fuir leur pays aimé, afin de ne pas subir les affronts monstrueux d’une clique infernale.

— Mon jeune ami, intervint M. Rochon, monsieur Duvernay, qui est l’un de nos plus ardents journalistes, a été plus d’une fois déjà jeté en prison à cause de ses articles par lesquels il mettait froidement et justement le fer sur la plaie.

— Je suis très honoré, dit Hindelang, en serrant encore la main de M. Duvernay, d’entrer en rapports avec des hommes tels que vous et monsieur Rochon.

— Merci, répondit M. Duvernay. Mais laissez-moi vous assurer de suite que nous n’avons pas fui notre pays par lâcheté, non. Nous sommes venus ici pour conserver notre liberté et mieux poursuivre notre tâche. Nous retournerons au Canada, monsieur, nous y retournerons, les armes à la main !

— Monsieur, s’écria Hindelang, voulez-vous me laisser être de votre nombre ?

— Vous, mon ami ?

— Oui, monsieur. Et croyez bien que je suis sincère. J’étais venu chercher fortune en Amérique ; mais depuis que j’apprends que des frères français souffrent sous un joug étranger et luttent pour reprendre des libertés qu’on leur a ravies, je suis décidé de mettre de côté mes projets et mes ambitions, et je me joins à vous.

M. Duvernay considéra avec admiration ce jeune homme, au visage d’enfant, dont la parole était si enthousiaste et le geste si énergique. Il admira surtout sa générosité spontanée et l’ardeur avec laquelle il embrassait une cause étrangère. Une brûlante émotion fit tressaillir son âme.

— Jeune homme, prononça-t-il gravement, vous venez de toucher profondément, très profondément mon cœur de patriote. Je suis content. Mais, si vous le permettez, nous parlerons de mon pays : moi, en commençant mon déjeuner, vous et monsieur Rochon, en achevant le vôtre.

— Certainement, monsieur Duvernay, acquiesça le jeune homme. Veuillez prendre place à côté de votre ami, monsieur Rochon.

M. Duvernay prit le siège indiqué et, l’instant d’après, il faisait à son tour une leçon d’histoire à Hindelang.

Mais peu après des personnages étrangers entrèrent dans le réfectoire, et la conversation entre ces trois français d’âme si égale fut abandonnée pour être reprise plus tard en un autre lieu. En effet, après son repas terminé et avant de quitter la table, M. Duvernay dit à Hindelang :

— Mon cher ami, j’habite non loin d’ici un appartement avec madame Duvernay et une nièce. Si vous daignez m’y venir faire visite, nous pourrons causer plus à notre aise. Monsieur Rochon connaît le chemin de ma demeure temporaire, et je le prie de vous y amener.

— J’accepte votre invitation avec le plus grand plaisir, monsieur, répondit le jeune homme.

Quelques instants plus tard, l’on se sépa-