Page:Féron - Le patriote, 1926.djvu/41

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

valeur, plus que des héros, vous serez des conquérants !

Il n’en fallait pas davantage pour chatouiller l’amour-propre de ces jeunes guerriers qui sentaient venir peu à peu la soif de lauriers conquis dans les combats.

Et sous le souffle impétueux qui passait sur cette troupe, les pas se faisaient plus rapides, la marche s’accélérait, les cœurs devenaient avides de se mesurer avec de vrais soldats, de ceux qui avaient déjà fait la campagne, ils brillaient d’un désir voluptueux de victoire. Et cette bande devança de beaucoup les deux autres. Les colonnes de Nelson et d’Hébert étaient encore loin que celle d’Hindelang arrivait en vue d’Odelltown. Et cela avait été la pensée secrète d’Hindelang. Croyant ne pouvoir compter beaucoup sur les deux autres petites armées à cause de la tiédeur et du mécontentement qui régnaient parmi un bon nombre, il espérait avec du coup d’œil et de la rapidité surprendre l’ennemi, le mettre en désarroi, puis, avec le concours des deux autres colonnes, le battre complètement. Il se disait qu’avec de la hardiesse et du vouloir il était possible de réussir des choses magnifiques. Aussi bien, pour dignement récompenser ses braves ne fallait-il pas leur conquérir quelque gloire ?

Des sentinelles avancées déchargèrent leurs fusils sur les avant-gardes d’Hindelang que commandait un jeune lieutenant canadien, Lanctôt. Les Patriotes ripostèrent, si bien que l’action se trouva pour de bon presque engagée un peu plus tôt que ne le souhaitait Hindelang. De suite il disposa sa colonne en ordre d’attaque et commanda de marcher sur le village et de l’envahir. Lui-même se mit à la tête de la première compagnie.

Les sentinelles anglaises s’étaient vivement repliées vers le village. Quand la petite armée se présenta, elle ne découvrit qu’un assemblement de maisons et de rues silencieuses. Le village tout entier paraissait avoir été évacué par les soldats et les villageois. Mais deux ou trois coups de feu partis d’une maison avoisinante, par accident peut-être, firent comprendre à Hindelang que chaque maison pouvait être une forteresse à prendre, et que la tâche serait plus formidable qu’elle n’avait paru de prime abord.

C’est égal ! il ne pouvait pas rester là avec sa troupe inactive et demeurer exposé aux projectiles ennemis. Il harangua ses hommes :

— Frères canadiens, rappelez-vous que, vingt-quatre ans passés, deux cents de vos compatriotes ont mis en déroute, en ces lieux mêmes, une armée de quatre mille Américains. Figurez-vous que le sol tremble encore sous les pas de ces géants dont vous êtes les fils ! Imaginez-vous que leurs clairons résonnent encore sous ces vastes cieux et vous appellent sur leurs traces ! Nous, frères, nous n’avons pas de clairons, mais nous avons la voix de nos cœurs français ! Sonnons la charge, Canadiens, et en avant ! Droit devant vous, c’est la gloire immortelle et c’est la liberté de votre pays !

À ces dernières paroles du jeune français, une très vive fusillade éclata du côté des premières maisons, et plusieurs canadiens furent blessés. L’un d’eux, atteint au bras droit, avait échappé son fusil. Hindelang se précipita et dit en lui tendant son épée :

— Prends cette épée, ta main gauche pourra toujours la manier ; moi, je me charge de ton fusil.

Puis il lança le cri de guerre des Patriotes :

— Pour la liberté !

Un long rugissement partit de quatre cents poitrines robustes, et les Patriotes s’élancèrent au pas de course.

Des coups de fusil furent tirés des fenêtres des maisons sans arrêter la course des Canadiens, et les ennemis qui étaient postés dans ces maisons s’empressèrent de déguerpir.

Toutefois, les Patriotes n’allèrent pas loin : un éclair avait jailli tout à coup du côté de l’église, une forte détonation avait suivi et un projectile puissant avait traversé, ouvrant un chemin sanglant, la colonne d’Hindelang.

Les Canadiens s’arrêtèrent net, surpris d’abord, consternés ensuite et peut-être hésitants. Hindelang les ranima :

— Braves Patriotes, l’ennemi s’est retranché à l’église avec du canon ! Allons chercher ce canon !

À ce moment les colonnes de Nelson et du major Hébert survenaient ; les coups de feu entendus avaient pressé leur marche.

On tint conseil sur la meilleure tactique à suivre pour déloger l’ennemi de l’église et le refouler hors du village. Mais avant de prendre une décision Nelson dépêcha le lieutenant d’Hindelang avec quelques hommes pour sonder les abords de l’église.

Lanctôt ne put arriver jusque là, parce que l’ennemi avait posté ses meilleurs tireurs dans les maisons avoisinantes, et qu’on ne pouvait approcher sans s’exposer à la mort.

Il fut alors décidé de diviser les Patriotes