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en quatre colonnes, de cercler le village, puis de se rapprocher de l’église. Nelson prit parmi la troupe les meilleurs tireurs, avec ordre de surveiller les fenêtres de l’église et des maisons du voisinage.

Cette tactique eut un bon effet : les tireurs canadiens, très habiles, eurent bientôt l’avantage sur les tireurs ennemis qui n’osèrent plus se montrer aux fenêtres, sûrs qu’ils étaient de recevoir une balle. Ceci permit aux quatre colonnes d’exécuter leur mouvement, de se rapprocher de l’église puis, à l’abri de clôtures, de haies, de bâtiments quelconques, de commencer un feu de mousqueterie contre les soldats du gouvernement. Car ayant surpris la tactique des Patriotes, les soldats ennemis tentèrent d’en empêcher la réussite par des sorties rapides contre l’une ou contre l’autre colonne. Mais après chacune de ces sorties ils étaient retournés à l’église en laissant une traînée de blessés et de cadavres. Enfin, les Canadiens avaient un avantage au moins égal à celui de l’ennemi.

Mais il ne fallait pas s’en tenir à une guerre d’escarmouches ou de barricades. Il était à craindre que des renforts n’arrivassent aux ennemis, et que les Canadiens ne fussent, les premiers, délogés, puis écrasés.

Voilà ce qu’Hindelang redoutait.

Il voulut réunir six cents hommes parmi les mieux armés, marcher contre l’église et en faire sortir l’ennemi de façon à le mettre entre deux feux.

Nelson s’opposa à cette action hardie, préférant temporiser et profiter d’une faute de l’ennemi. Mais à temporiser le temps fuyait et les munitions des Canadiens baissaient, et il eut peut-être tort de ne pas écouter Hindelang.

Dans l’église l’ennemi ne demeurait pas inactif. Voyant que leurs sorties par groupes n’aboutissaient qu’à leur faire subir des pertes inutiles, les soldats du gouvernement décidèrent de sortir en masse serrée, puis de se diriger et de charger les bandes patriotes. Cette action fut exécutée sur-le-champ.

Les Patriotes, éparpillés qu’ils étaient derrière les clôtures, les murs ou les haies n’étaient pas préparés à une attaque de masse. Aussi furent-ils très étonnés de voir la troupe ennemie sortir brusquement de l’église en rangs compacts, puis se diviser en deux groupes et marcher contre les retranchements canadiens avec un canon chargé à mitraille. Cette mitraille eut beau jeu, les Patriotes ne purent riposter que faiblement, et ce ne fut pas long que le désarroi se mit dans les colonnes de Nelson et d’Hébert.

Des soldats rouges avaient réussi à mettre le feu aux maisons dans lesquelles les tireurs canadiens s’étaient retranchés. Ils furent obligés de chercher un refuge ailleurs, et de ce fait les Patriotes perdirent un gros avantage.

Alors ils se virent en face d’une bataille corps à corps qu’ils n’étaient pas prêts à engager, et ils ne devaient plus compter que sur des hasards pour gagner une victoire qu’ils sentaient déjà leur échapper. Ils se voyaient sans autre alternative que celle-ci : se battre avec désavantage ou fuir ! Mais ceux qui n’avaient pas d’armes furent bien forcés de se retirer à l’écart, et de chercher un asile où ils seraient à l’abri des balles et de la mitraille ennemies. C’eût été folie, en effet, que d’aller se faire égorger ou étriper inutilement.

Malgré de lourdes pertes les soldats du gouvernement comptaient encore trois cents hommes bien disciplinés et bien armés. Les Patriotes avaient bien quelques fusils capables encore de faire des brèches, mais aucune discipline. C’étaient donc pour eux la déroute et l’écrasement total.

Hindelang comprit cela. Il comprit que sans un coup juste et rapide tout était perdu. Ce coup, il résolut de le donner. Mais il n’avait autour de lui à cet instant que deux cents hommes, dont beaucoup n’avaient pour toutes armes que des outils de ferme. N’importe ! ces outils bien maniés pouvaient être terribles. Hindelang les entraîna. À leur tête il se jeta tout à coup contre l’ennemi qui, pris à l’improviste, plia et recula du côté de l’église.

Ce choc impétueux fit couler du sang, blessés et morts jonchèrent le sol, tuniques rouges et capotes grises gisaient entremêlées. Une seconde, une seconde, seulement, il y eut entre ces deux masses d’hommes, les soldats anglais et les Patriotes canadiens, comme une stupeur : les Anglais demeuraient étonnés de l’audace des Canadiens, ceux-ci surpris d’avoir bousculé les Anglais. Mais déjà Hindelang, qui voyait tout l’avantage à tirer de cette situation, lançait ce cri :

— France et Canada !

Il prenait un nouvel élan, mais il s’aperçut que ses Canadiens hésitaient. Alors, il comprit cette hésitation : par une rue, débouchant à l’église un renfort ennemi, de deux cents hommes arrivaient. Et Hindelang vit qu’il aurait à faire face à trois cent