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française, mais avec l’accent particulier à notre race.

Le chef de l’escorte, un anglais pur sang mais qui entendait le français, s’arrêta surpris, regarda profondément Hindelang et demanda sur un ton froid :

— Est-ce vrai ce que dit cet homme ?

Hindelang répondit, pas au chef, mais à l’autre, avec un accent narquois :

— Si tu me reconnais comme le lieutenant de Nelson, tu dois savoir mon nom également ? Quand on fait le métier que tu fais, on doit être joliment bien renseigné !

L’autre rougit violemment. Ses compagnons, des Anglais, le regardèrent peut-être avec mépris.

Mais Hindelang sans plus faire de cas de ce traître, se tourna vers le chef de l’escorte et prononça avec un sang froid merveilleux :

— Cet homme a dit vrai, monsieur. Je suis, ou si vous aimez mieux, j’étais le lieutenant du docteur Nelson. Je m’appelle Charles Hindelang !

— Hindelang ! Ce nom tomba comme un écho joyeux des lèvres de l’anglais.

De suite il tira d’une poche intérieure de son vêtement un carnet qu’il se mit à consulter.

— Hindelang… murmura-t-il au bout d’un moment de silence. Oui, oui, c’est bien cela !

Tout à coup il jeta cet ordre bref à ses hommes :

— Prenez cet homme, c’est un rebelle !

Le jeune homme fut de suite entouré.

— Et ces trois hommes ? interrogea le chef avec un regard soupçonneux.

Hindelang expliqua :

— Ce sont des inconnus pour moi. Je me suis égaré hier dans les bois. Ces trois braves étaient en train de bûcher paisiblement. J’étais blessé et à bout de forces, je leur ai demandé de m’accompagner jusqu’au village le plus proche. Voilà, monsieur.

Ce pieux mensonge sauva peut-être la vie à ces trois braves, le chef de l’escorte leur ordonna de s’en aller reprendre leur travail.

L’instant d’après on emmenait Hindelang prisonnier, on l’emmenait à Montréal où d’autres languissaient dans les prisons en attendant qu’on fixât leur sort.

Et les Anglais de la troupe, chemin faisant, riaient sous cape :

La capture était si belle !


II

DEVANT LA BARRE.


Un journal anglais écrivait à la fin de novembre de cette année 1838 :

« Nos prisons regorgent de prisonniers politiques et de rebelles… » !

À cette époque Montréal, comme toute ville soucieuse de sa tranquillité et du maintien de sa bonne réputation, était dotée de trois prisons.

Ces prisons étaient remplies, mais non seulement de prisonniers politiques et de rebelles, bien que le nombre de ceux-là fût considérable. Et sur ce nombre combien étaient innocents de crimes politiques ou autres. Combien n’avaient jamais pris une arme en leurs mains ! Combien n’avaient jamais élevé seulement la voix publiquement ! Seulement, en Canada, tout comme en France en 1793, on arrêtait les suspects. Étaient considérés comme suspects, et par conséquent comme criminels, ceux des nôtres qui n’avaient pas courbé l’échine devant l’étranger. C’est pourquoi le Bas-Canada, et particulièrement le district de Montréal, connut, lui aussi sa « Terreur » !

C’est dans la Prison Neuve, sise en la rue Notre-Dame, qu’on retrouve la plupart des malheureux qui allaient souffrir si atrocement et si injustement de la vengeance étrangère.

Lord Durham était parti pour l’Angleterre au commencement de novembre, abandonnant la direction des affaires du pays au général Colborne.

La loi martiale avait été proclamée et établie. Et, après la défaite des Patriotes à Odelltown, après aussi qu’on eût mis sous verrous quelques centaines de Canadiens, le nouveau gouverneur institua un tribunal, mais un tribunal militaire, chargé de décider du sort des accusés, des prisonniers politiques, de tous ceux-là, enfin, qu’on tenait au collet. Et ce tribunal, contre lequel allaient s’élever tant de voix indignées, tant de colères, tant de malédictions, entra en séance le 28 novembre.

Ses deux premières victimes furent un notaire honorable et un jeune homme, comme si ce notaire et ce jeune homme avaient été une menace positive pour l’équilibre de l’empire britannique. Ils furent tous deux condamnés à la pendaison et exécutés le 21 décembre de la même année.

Le même tribunal, dont on avait avec rai-