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se passait dans cette salle commune, de sorte que les prisonniers, une fois hors de leurs cellules, demeuraient presque toujours sous la surveillance d’un garde. Ce garde, d’après les règlements du service, devait surveiller sans cesse l’une ou l’autre série de cellules en faisant les cent pas dans le couloir. Mais lorsque les prisonniers étaient paisibles, le garde, qui s’ennuyait naturellement, se donnait la permission de descendre fumer sa pipe à la salle des gardes.

Voilà donc à peu près ce qu’étaient les lieux où Charles Hindelang allait vivre ses derniers jours, et quand il franchirait de nouveau cette grille, ce serait pour aller tendre son cou à la corde du bourreau.

Lorsque le jeune homme fut introduit dans cette demeure nouvelle et dernière, les prisonniers venaient de quitter leurs cellules. À dix heures du matin, les portes de fer étaient ouvertes et les prisonniers réunis deux par deux dans chaque cellule devaient avant toute chose s’occuper du ménage de leur logis : on arrangeait les couvertures des lits, on les remontait contre la muraille, on balayait, on rangeait, bref, l’on mettait toutes choses à l’ordre. Ensuite chacun pouvait agir à sa guise, ou faire la causette avec un compagnon, ou lire, ou se promener dans le corridor. À midi, il fallait rentrer dans sa cellule pour recevoir sa ration et la manger. À une heure, les portes étaient de nouveau ouvertes jusqu’à cinq heures.

Hindelang trouva la plupart des prisonniers occupés à leur petit ménage. Mais à son apparition plusieurs accoururent à lui, ceux qui l’avaient un peu connu. Naturellement la première question posée avait été celle-ci :

— Eh bien ! qu’est-ce qu’on vous a donné ?

— On ne m’a rien donné encore, répondit-il en riant ; mais on m’a promis.

— Quoi donc ?

— Une bonne corde !

Bien que cette réponse fut faite placidement, les prisonniers tressaillirent, puis s’entre-regardèrent avec consternation.

L’instant d’après Hindelang était entraîné à la salle commune, où on lui offrait une tasse de café et où on le priait de faire le récit de son procès.

Hindelang se soumit de bonne grâce à cette curiosité naturelle.

Lorsqu’il eut terminé, un homme, jeune encore, d’allure distinguée, grave, s’approcha la main tendue.

Hindelang reconnut de suite cet homme qu’il avait rencontré une ou deux fois. Il s’empressa de serrer la main offerte et dit avec une grande émotion :

— Ah ! monsieur le chevalier, j’espère bien que vous n’êtes pas fâché de me savoir votre compagnon de voyage ?

Le chevalier de Lorimier sourit.

— Mon ami, dit-il, si je n’ai pas eu l’avantage de vous connaître beaucoup, on m’a par contre bien parlé de vous. Et on l’a fait avec tant d’éloges que je suis fâché, oui très fâché, que vous fassiez route avec moi dans l’éternel voyage que nous allons entreprendre demain, ou après-demain… qu’en savons-nous !

Hindelang se mit à rire avec ironie.

— Êtes-vous si fâché, dit-il, parce que je n’ai pu démolir un plus grand nombre d’Anglais ?

Les prisonniers en cercle autour du chevalier et d’Hindelang se mirent à rire bruyamment.

Mais le chevalier fit un geste sévère, et posant un doigt sur ses lèvres et jetant un rapide coup d’œil vers la grille du couloir à deux pas de là, murmura :

— Mon ami, permettez-moi de vous donner un conseil : ne prononcez pas, ne prononcez jamais ici ce mot « Anglais »… c’est dangereux !

— Dangereux pour nous ? demanda Hindelang avec un léger étonnement.

— Pour vous et pour moi, non, répliqua le chevalier avec un sourire mélancolique. Mais pour ces camarades !

— Eux ! fit avec plus d’étonnement Hindelang. Quoi ! ne sommes-nous donc pas ici tous des condamnés à mort ?

— Non, répondit gravement le chevalier. Nous sommes ici deux condamnés à mort seulement, vous et moi !

Hindelang regarda les prisonniers autour de lui avec une sorte d’ahurissement.

Alors l’un d’eux expliqua ceci :

— De fait, nous avons tous été condamnés à mort par le tribunal de Clitherow et de Colborne. Mais il paraît maintenant que nos sentences ont été changées en emprisonnement à vie.

— On dit, ajouta un autre, que nous serons déportés en pays étranger.

— Eh bien ! s’écria joyeusement Hinde-