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surés que, hors du royaume terrestre, était un royaume bien préférable dans lequel ils allaient entrer. Cette assurance et cet espoir leur suffisaient pour terminer tranquillement leur existence. Il est avéré, en effet, que les derniers moments de ces cinq condamnés furent des heures d’entretiens avec leur Créateur.

Que nos consciences catholiques ne s’offusquent pas de ces affirmations que nous appliquons également à Charles Hindelang. S’il était protestant, c’est-à-dire qu’il professât un rite autre que le nôtre, il n’en était pas moins une créature de Dieu. Comme nous il adorait Dieu, quoique d’une manière différente, et nous croyons que Dieu entend toutes les prières en quelque langue qu’elles soient dites, qu’il entend tous les hommes à quelque race ou religion qu’ils appartiennent.

Et encore, les vives souffrances de ce jeune homme, l’immense sacrifice qu’il avait accompli, par pure générosité, en venant combattre vaillamment pour une race catholique à laquelle on essayait par tous les moyens d’arracher la foi, étaient déjà aux yeux de Dieu des actes de foi suffisants, il semble, pour lui faire franchir les portes du royaume céleste.

Et s’il n’adjura pas l’erreur, qu’il admettait sincèrement comme vérité, cela dépend peut-être du fait que l’apôtre chargé des intérêts spirituels des condamnés n’eut pas le temps de faire la conversion du jeune homme. Car cet apôtre, une fois, lui avait dit avec une grande tendresse :

— Ah ! mon cher ami, comme la mort vous semblerait douce si vous embrassiez la vérité prêchée par Rome et son Église !

— Je vous crois de toute âme, messire prêtre, avait répondu Hindelang avec un bel accent de vérité. Mais croyez bien que la mort, même cette mort ignoble, affreuse qu’on fait subir aux mécréants, ne me fait plus peur. J’ai revendiqué, il est vrai, la mort du soldat, on me l’a refusée, soit ! Et bien ! je mourrai en patriote comme mon excellent ami, le chevalier, et je mourrai aussi en chrétien ! Car je suis chrétien, messire abbé, quoique je ne sois pas attaché à la religion que vous prêchez ; et si je suis chrétien, c’est l’œuvre de ma mère… Ah ! mon excellente mère ! mon adorable mère !… Oui, messire, c’est ma mère qui m’a appris à servir Dieu comme à servir ma race française ! Je mourrai donc en chrétien et en français, n’ayez crainte !

Il acheva avec un grand abandon, mais en même temps avec un sourire navrant :

— Allons ! messire prêtre, demeurez tranquille, je pars avec le chevalier et sur ses pas j’entrerai en Paradis !

C’est ainsi qu’Hindelang priait Dieu, à sa façon c’est vrai, mais si sincère, si vraie était sa prière qu’elle ne pouvait qu’être agréable au Seigneur.

Et c’est ainsi, également, que le jeune homme vit arriver le 14 février, veille du terrible jour !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Et ce matin du 14 février, au réveil, avant la passée de la ration que les prisonniers mangeaient dans leur cellule, on entendit résonner sous les voûtes obscures et silencieuses un frais éclat de rire.

— Eh bien ! mon cher Hindelang, demanda de sa cellule le chevalier de Lorimier, dites-moi un peu comment vous avez passé cette nuit qui vient de précéder la dernière pour nous en ce monde ?

— Vous le savez bien, mon cher chevalier.

— Dites toujours !

— Pardieu ! j’ai dormi comme un anglais !

— C’est-à-dire en toute tranquillité ? demanda un autre prisonnier.

— C’est-à-dire… non… Tenez ! mes amis, j’ai dormi comme un anglais qui redouterait ou qui redoute jusqu’à la dernière seconde que nos têtes demeurent sur notre col.

— C’est-à-dire dans l’angoisse ? interrogea malicieusement le chevalier.

— Et dans l’épouvante, mon cher ! répliqua Hindelang dans un nouvel éclat, de rire.

— Mais alors votre sommeil n’était pas tranquille le moins du monde, fit remarquer de Lorimier en riant aussi.

— Ah ! mon Dieu ! quelle logique vous avez, chevalier, en cette veille d’un jour aussi néfaste que sera le nôtre demain ! Alors j’ai donc menti en déclarant que j’ai dormi comme un anglais. Eh bien ! croyez-moi cette fois : j’ai dormi tout simplement comme un juste !

— Ah ! cela est mieux ! fit gravement de Lorimier.

— Et à présent, ricana Hindelang, je m’apprête à manger comme un Lucullus !