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LE SIÈGE DE QUÉBEC

attaquait les positions du chevalier de Repentigny. Dans le même moment une autre colonne d’attaque, conduite par les brigadiers anglais Murray et Townshend, descendait des hauteurs de l’Ange-Gardien et se dirigeait vers le gué, qui traversait le pied de la chute, pour venir se joindre à l’armée que portaient les berges. L’attaque des Anglais semblait donc se concentrer tout entière contre l’armée du chevalier de Lévis. Il n’y a pas de doute que Wolfe, avant de prendre le chemin de la rivière Saint-Charles et de Québec, voulait tenter de réduire cette armée à néant.

Ces bruits de bataille arrivaient jusqu’aux oreilles de nos amis au chemin de Courville. Jean Vaucourt fit observer à Flambard :

— Je pense, mon ami, que nous aurons peu de besogne ici ; écoutez ce vacarme là-haut, du côté de la rivière !

— Faut-il y courir ? demanda Flambard, impatient de se battre.

— Nos ordres sont de tenir ici même. Tenez ! s’écria-t-il tout à coup, cette troupe de fantassins qui vient de débarquer, ne semble-t-elle pas venir de ce côté ?

— Juste, répondit le spadassin ; c’est un régiment de grenadiers anglais qui marche sur nous !

C’était bien une colonne de deux mille grenadiers qui, sous les ordres du brigadier anglais Monckton, marchait vers le pied de la route de Courville. Mais après avoir marché environ deux cents verges, cette colonne s’immobilisa, et une vive musique de guerre retentit et se mêla aux bruits de bataille qui descendaient des hauteurs de Montmorency.

— Ah ! ah ! se mit à ricaner Flambard, vient-on uniquement pour nous servir une séance musicale ? Par mon âme ! si c’est là nargue et goiserie, nous allons leur servir, nous, une musique de plomb et de fer qui ne résonnera pas moins bien à leurs oreilles que ne résonne le cri agaçant de leurs fifres.

— Nous allons voir, répliqua Vaucourt. D’abord, ne dirait-on pas que ces grenadiers attendent cette autre troupe qui débarque plus loin ?

— Fichtre ! murmura Flambard, voilà des fusiliers de la Nouvelle-Angleterre que je reconnais à leurs fanions déployés.

— Vous les reconnaissez ? demanda Vaucourt avec surprise.

— Sans doute. N’ai-je pas, l’an passé, traversé leurs pays à ces néo-anglais, lorsque je gagnais le lac Champlain et le Fort Carillon ? Et n’ai-je pas passé au travers d’un régiment de ces fusiliers qui, battus en pièces par nos soldats, avaient pris la peur au chien et décampaient après avoir jeté bas leurs flingots ? Par le diable ! je suis content ; on va leur faire voir une autre estocade qui, bien certainement, leur fera passer le goût de mettre les pattes sur la terre du voisin.

Les fusiliers s’étaient rangés en ordre d’attaque à la droite des grenadiers, et s’étant, eux aussi, immobilisés, leur musique de guerre se joignit à celles des grenadiers.

— Décidément, s’écria Flambard, médusé, c’est une politesse qu’on vient nous faire. Et dire que le père Croquelin n’est pas là pour leur jouer, en retour, un air de sa viole ; et dire encore que je n’ai pas ce rebec…

Soudain, le spadassin tira sa rapière, sauta sur le parapet de la redoute et, mettant son tricorne à la pointe de sa lame, il dressa sa haute taille au-dessus des buissons avoisinants et hurla de sa voix nasillarde et retentissante :

— Vive la France !

Huit cents verges seulement le séparaient des Anglais. Eux, aperçurent ce géant fantasque, qui semblait les narguer. Les musiques s’étaient tues ; la brise de l’ouest avait emporté la voix du spadassin jusqu’aux premiers rangs des grenadiers ennemis. Ceux-ci demeuraient abasourdis en tenant leurs yeux fixés sur cette fière silhouette qui, tel un Colosse de Rhodes, semblait leur défendre l’entrée sur ce sol de la Nouvelle-France. Monckton eut une pensée d’admiration pour ce brave ; mais il regretta en même temps de ne pouvoir lui faire expier cette bravade. La colonne n’avait pas de canons, et la portée des fusils ne permettait pas d’atteindre l’audacieux spadassin.

Et Flambard demeurait là, narquois, la rapière pointée vers le ciel, son tricorne balançant au bout.

Mais ce geste avait été vu des transports échoués sur la grève, et cette silhouette offrait à un canonnier habile une cible magnifique. Et il faut croire que cet habile canonnier existait, puisqu’une formidable détonation éclata et que, à la même seconde pour ainsi dire, le tricorne de Flambard fut emporté par un boulet de canon.

Le spadassin éclata d’un rire énorme, puis il sauta dans le redoute. Monckton ne voulant pas que ce rire nasillard et moqueur fît mal aux oreilles de ses hommes, ordonna aux musiques de jeter une marche victorieuse.

— Mais que diable attendent-ils là ainsi arrêtés ? demanda Vaucourt.

— Il faut croire, répliqua le spadassin, qu’ils attendent que les autres troupes soient débarquées.

En effet, à cet instant la moitié seulement des troupes portées par la flottille de berges avait mis pied à terre. D’autres berges approchaient, d’autres encore se détachaient de la flotte et venaient vers la plage.

— Par ma foi ! exclama Flambard, vont-ils nous jeter dessus cinquante mille hommes ? Voyez, capitaine !

Pas moins de trois mille hommes se trouvaient déjà sur la plage, et c’était déjà beaucoup. Mais voilà que, venant des chutes, d’autres troupes apparaissaient : c’étaient celles que conduisaient Towshend et Murray. Après être descendus des hauteurs de l’Ange-Gardien, ces bataillons avaient traversé un gué au pied des chutes, et, suivant un sentier frayé à travers la brousse, ils devançaient les grenadiers de Monckton, descendaient la pente vers la plage, puis remontaient vers la route de Courville. Murray, avec mille hommes, s’était immobilisé dans le sentier qui dominait le gué, pour de là, l’ordre venu, s’élancer vers les hauteurs de Montmorency. À suivre ces manœuvres, Jean Vaucourt pensa qu’il y avait mésintelligence entre les chefs anglais, et cela apparaissait d’autant plus probant qu’il voyait Towshend