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Page:Féron - Le siège de Québec, 1927.djvu/31

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LE SIÈGE DE QUÉBEC

approcher avec tout au plus huit cents hommes. C’était folie de la part de l’officier anglais à moins que ce ne fût qu’une feinte. Quoiqu’il en soit, Vaucourt donna des ordres rapides à Flambard, qui alla de suite prendre le commandement d’une compagnie de tirailleurs canadiens qui se trouvait postée à la gauche du jeune capitaine, et lui-même prépara ses miliciens à l’attaque.

Towshend aborda d’abord les redoutes évacuées par les Canadiens. Encouragé par la tranquillité des lieux et ne croyant pas trouver de garnisons dans les redoutes dressées au-dessus du chemin de Courville, il marcha contre.

C’était le moment attendu par Jean Vaucourt. Sur un signal de lui, une grêle de balles crachées à quarante verges de là assaillit le régiment anglais. Il y eut recul et désordre dans la troupe ennemie.

Néanmoins, pensant n’avoir affaire qu’à un petit poste, Towshend voulut le déloger. Il reforma les rangs de ses hommes et les lança à l’attaque des deux redoutes occupées par les tirailleurs canadiens. À l’instant même, de tous les épaulements qui garnissaient la pente au-dessus du chemin de Courville retentit un vif feu de mousqueterie, et une seconde grêle de balles se mit à pleuvoir sur les Anglais. Ceux-ci perdaient déjà une centaine d’hommes, tués ou blessés.

De nouveau Towshend retraita. Monckton, qui n’avait pas encore bougé, dépêcha au secours de Townshend un régiment de grenadiers. Ceux-ci, au lieu de suivre la plage, grimpèrent aux brousses voisines et se frayèrent un chemin vers la route de Courville, comme s’ils avaient eu l’idée de surprendre les Canadiens dans leurs retranchements. Mais de son poste Flambard avait découvert la manœuvre. Il rassembla autour de lui quatre cents tirailleurs, et les apprêta à se jeter dans le flanc de la colonne.

Les grenadiers anglais approchaient, se faufilant sans bruit à travers la broussaille. Ils arrivèrent bientôt sous les ouvrages de terre occupés par les Canadiens. De prime abord il était assez difficile de reconnaître ces ouvrages, masqués qu’ils étaient par l’épais feuillage, et les grenadiers pouvaient passer à cinq ou six toises sans les voir ; ensuite, leur objectif étant ce fortin où se trouvait Vaucourt et contre lequel Towshend avait échoué, ils ne semblaient pas prendre la peine de scruter les fourrés qu’ils traversaient. Flambard profita de cette faute, et l’on entendit tout à coup sa voix nasillarde et tonnante :

— Par les deux cornes de satan ! amis canadiens, tuez-moi tous ces English !

Cette voix seule parut produire sur les grenadiers l’effet d’un coup de canon… ils s’immobilisèrent.

Un choc terrible les ébranla à la seconde même : la rapière à la main droite, un poignard à la main gauche, Flambard pénétra dans le flanc droit des grenadiers, tout comme un coin de fer peut entrer dans le billot.

Avec ses Canadiens, il harcela pendant une heure les grenadiers ennemis, et ce fut dans ces fourrés épais une bataille corps à corps. À la fin, les grenadiers anglais, croyant avoir le diable à leurs trousses, se débandèrent et prirent la fuite dans la direction du reste de la colonne de Monckton. Pendant ce temps, Jean Vaucourt s’était élancé avec ses miliciens sur Townshend et achevait de le mettre en pleine déroute.

Sur les autres points du champ de bataille le succès demeurait encore avec les armes de la colonie. Murray, qui avait essayé d’escalader les hauteurs de Montmorency, se voyait culbuté par le chevalier d’Herbin qui commandait sous les ordres de Lévis, des compagnies de miliciens et de réguliers. Sur les bords de la rivière Montmorency, Repentigny battait complètement les deux mille hommes commandés par le major Hardy.

Mais le plus dur du combat paraissait se dérouler au pied de la route de Courville.

Monckton, en voyant la déroute de Towshend était accouru à son secours avec le reste de ses grenadiers et de nouvelles troupes débarquées des berges. Ce que voyant, Jean Vaucourt et Flambard unirent leurs forces pour donner le coup d’assommoir. Et pour ne pas donner aux Anglais le temps de prendre position, ils se ruèrent à leur rencontre avec une furie telle, que l’ennemi se trouva de nouveau tout à fait ébranlé. Enragés et voulant à tout prix décider de suite de la victoire, excités par la voix dominatrice de Flambard et les rudes coups qu’il portait aux Anglais, les Canadiens se mirent à faire un vrai massacre…

Or, tandis que résonnait le choc du fer contre le fer, tandis que les baïonnettes se croisaient avec un grincement affreux d’acier, tandis que les canons anglais continuaient de cracher leur mitraille sur l’armée du centre qui n’avait pas encore bougé, et tandis que s’élevaient de toutes parts des rumeurs effrayantes et des fracas étourdissants, le ciel s’était dérobé sous d’épais et sombres nuages. Puis ces nuages avaient été sillonnés d’éclairs gigantesques, le tonnerre s’était mis de la partie pour rehausser le vacarme de la bataille. Puis une rafale de vent avait soudain déferlé ; sa poussée était si formidable que les combattants, qui ne se trouvaient pas pressés les uns contre les autres, étaient soulevés et couchés violemment sur le sol. Des grêlons se mirent à tomber, des grêlons plus gros que les balles et qui déchiraient les visages en les cinglant. Un moment l’obscurité devint si profonde que les combattants se perdirent presque de vue. Puis ce fut un déluge d’eau qui descendit durant quelques minutes, une nappe d’eau si épaisse qu’on ne pouvait voir à une coudée de soi. Le combat se trouva donc interrompu et tous les bruits de la bataille qui, un moment auparavant, avaient empli l’espace de rumeurs terribles, se turent. On n’entendit plus que les crépitements des gouttes d’eau fouettant les mares, que le sifflement de la rafale, que les éclats secs et cassants de la foudre.

Flambard et ses tirailleurs avaient cherché un abri sous la ramure touffue des saules. Là, il avait dit à ses Canadiens :

— Mes amis, il faut nous apprêter à tomber sur le dos des Anglais, dès que nous pourrons glisser de l’œil au travers de ce déluge.