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LE SIÈGE DE QUÉBEC

— Certes. Aussi, faudra-t-il que je m’entende avec messieurs les Anglais pour qu’ils respectent ces deux propriétés ; car ils vont certainement se rendre maître du pays cette fois.

— Je le souhaite ardemment, dit Deschenaux.

— Moi aussi, tant il me tarde d’aller me reposer sous notre ciel de France.

— Et pour partir de suite, répartit Deschenaux, je donnerais volontiers la moitié de ce que je possède.

— Pourquoi donner, ami Deschenaux, quand il n’y a pas nécessité. Non, non… nous emporterons autant que nous pourrons. Nous essaierons même de nous tailler un autre petit million avant de partir !

— Vous avez raison, monsieur l’intendant. Nous taillerons deux autres millions ! Nous prendrons autant qu’il nous sera possible de prendre, et tant pis pour les nigauds qui crèveront de soif et de faim !

Et il se mit à rire sourdement.

Bigot alla prendre le flambeau qui reposait sur l’un des coffres et dit :

— Allons, maintenant, je veux donner des ordres pour que soient creusées les caves de mon château, afin d’y mettre ces coffres à l’abri.

— Hormis celui-là ? fit en ricanant Deschenaux et en indiquant un coffre à l’écart des autres et placé dans un angle de la chambre de fer.

Ce coffre, d’une dimension égale à celle des autres, également fait de chêne et renforcé d’acier, était recouvert, d’une couche de peinture rouge qui le différenciait des autres que recouvrait une peinture noire.

Bigot sourit à son tour et répliqua :

— Ce coffre a aussi son importance, sinon sa valeur ! Ah ! non ! ami Deschenaux, qu’on se garde bien de l’enlever de là !

Et, ricanant, il marcha vers la porte par laquelle Verdelet était sorti.

L’instant d’après, les deux coquins quittaient la chambre de fer et s’engageaient dans la large galerie souterraine.

Quant à nous, revenons à notre héros à la caserne des cadets.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Lorsque Verdelet eut quitté Flambard après lui avoir promis de le sauver encore une fois, notre ami se mit à poser la valeur de sincérité des paroles du garde. Naturellement, le spadassin n’avait pas une grande confiance en ce garde qui voulait se dire son ami et qui pactisait peut-être avec ses ennemis, les gardes et cadets de Bigot. Que penser au juste ? Flambard ne pouvait se faire une opinion sûre de la sincérité ou de l’hypocrisie du garde. Mais une chose sûre et certaine : garrotté comme il était, réduit à la plus parfaite impuissance, il devait nécessairement, pour recouvrer l’usage de ses membres et la liberté, compter sur l’assistance d’autrui. Donc, sans autre espoir de secours, Flambard espéra fortement que Verdelet lui tiendrait parole.

Pendant qu’il repassait dans sa mémoire les paroles que lui avait dites le garde, les cadets s’amusaient fort à faire des mots d’esprit et à décocher mille traits malicieux à l’adresse du spadassin toujours impassible. Peu après, Verdelet rassembla autour de lui toute la bande, et lui tint un petit discours bas et mystérieux qui la fit rire aux plus grands éclats. Puis toute la bande à la file gagna la porte de sortie, sauf Verdelet qui demeura assis à une table. En passant devant Flambard, toujours étendu sur le plancher, le cadet qui marchait en tête de la file s’arrêta, enleva son tricorne, exécuta une révérence profonde et ironique, et, regardant le spadassin dans les yeux, cria :

— Pouf !

Et il partit d’un grand éclat de rire tout en gagnant la porte.

Ainsi fit le deuxième cadet. Ainsi firent tous les cadets et tous les gardes. En queue venaient nos deux bravi, Pertuluis et Regaudin.

— Pouf ! fit Pertuluis après sa révérence.

— Pouf ! Pouf ! imita Regaudin.

— Que diable ! veulent dire ces singes avec leurs « Poufs » ? se demanda Flambard assez intrigué.

Pertuluis et Regaudin, qui fermaient la queue de la file, venaient de sortir de la baraque et la porte avait été refermée. Alors Verdelet se leva et s’approcha de Flambard.

— Monsieur Flambard, dit le garde avec un air grave, j’ai promis de vous sauver, et je vais tenir parole.

— D’abord, mon ami, explique-moi un peu pourquoi tu veux me sauver ? demanda Flambard dont la défiance se réveillait.

— Parce que je me souviens toujours de la fournaise, et parce que, en vous sauvant la vie, c’est un peu me venger de celui qui a allumé cette fournaise et qui m’y a exposé.

— Bigot ? interrogea Flambard.

— C’est tout comme… Je veux parler de Deschenaux.

— Ah ! ah !

— Vous comprenez donc l’intérêt qui me fait agir. Or, pour arriver à mes fins, j’ai réussi à trouver un truc pour me débarrasser de la présence des cadets et des gardes de Monsieur Bigot.

— Quel truc ? demanda Flambard toujours défiant.

— Je vous le dirai tout à l’heure, quand nous serons hors de cette maison.

— Ah ! ah ! nous allons sortir de cette maison ?

— Vous allez voir !

Vivement Verdelet avec un poignard trancha les cordes qui liaient les mains et les pieds du spadassin.

Celui-ci se dressa debout d’un bond et respira avec une large satisfaction.

Pendant ce temps Verdelet soulevait de nouveau le panneau de la trappe et disait, en s’engageant dans l’escalier obscur :

— Suivez-moi !

— Ne trouves-tu pas qu’il fait un peu noir là-dedans demanda Flambard en hésitant.

— De vrai, vous ne connaissez pas les aires comme moi… Eh bien ! prenez ce flambeau qui gît là près du fourneau et allumez-le à l’une de ces bougies.

Le spadassin fit comme lui avait dit le garde, et, la minute d’après, il descendait à la cave