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LE SIÈGE DE QUÉBEC

après avoir laissé retomber le panneau de la trappe.

La cave était profonde et spacieuse. À deux extrémités opposées il remarqua deux immenses portes de fer qui se faisaient face l’une à l’autre, et il vit que Verdelet marchait vers l’une d’elles. Mais avant d’atteindre cette porte, le spadassin remarqua, suivant la longueur de la cave, l’empreinte dans le sol de roues de chariots.

— Qu’est-ce que cela ? demanda-t-il à Verdelet qui venait de s’arrêter devant l’une des deux portes.

— Je vous expliquerai tout à l’heure. Venez, nous n’avons pas de temps à perdre.

Il ouvrit la porte qui tourna sur des gonds énormes en grinçant.

— Une vraie porte d’oubliette ! remarqua Flambard.

— Soyez assuré ici, répliqua le garde, c’est la liberté que vous donne cette porte !

Malgré ces paroles du garde, notre ami n’était pas trop rassuré. Mais il se disait qu’il était pris et qu’il devait suivre cet homme, honnête ou coquin, quitte à saisir la première occasion qui s’offrirait à lui pour recouvrer sa liberté. Car Flambard ne désespérait jamais, même dans les pires extrémités. Il se disait : tant qu’un homme possède la faculté de penser, il ne doit jamais désespérer ou de la liberté ou de la vie. Car la pensée, c’est la grande force de l’homme qui sait s’en servir, c’est le levier avec l’aide duquel il peut remuer tout un monde, c’est la puissance invincible de l’homme vraiment fort, puissance qui, unie à la volonté, accomplit souvent des prodiges. La mort seule peut en avoir raison.

Or, Flambard possédait cette puissance de la pensée et de la volonté, par conséquent il avait le sang-froid et le courage qui lui permettaient de combattre, avec succès souvent, les dangers qui se présentaient sur son chemin. Et puis, très défiant de sa nature avec ses ennemis, il demeurait toujours en éveil. Si, par-ci par-là, il donnait dans les pièges tête baissée, c’est qu’un intérêt puissant commandé par sa générosité le poussait à affronter l’inconnu et à exposer sa liberté et sa vie.

Cette nuit-là, il avait décidé de savoir ce qu’était devenu l’enfant du capitaine Vaucourt, et il voulait découvrir la retraite de l’enfant, dût-il pour cela descendre aux enfers. Il suivit donc Verdelet dans la large galerie souterraine qui aboutissait à la chambre de fer.

Les deux hommes marchaient depuis cinq minutes, lorsqu’un bruit de chariot se fit entendre derrière eux.

— Alerte ! murmura Verdelet.

Il éteignit le flambeau qu’il avait pris l’instant d’avant des mains de Flambard et dit :

— Donnez-moi la main et suivez !

Il entraîna le spadassin dans un enfoncement de la galerie et ajouta :

— Demeurons ici bien silencieux.

— Sommes-nous menacés ? demanda Flambard.

— Pas moi, mais vous. Si ceux-là qui viennent vous découvraient ici, c’en serait fait de votre existence.

— Et qui sont ceux-là qui viennent ?

— Attendez, vous allez voir.

Le bruit produit par le roulement d’un chariot augmentait de seconde en seconde. Puis la galerie s’éclaira peu à peu, et au bout de dix minutes Flambard, à sa grande stupéfaction, vit défiler devant lui vingt cadets de Bigot tirant et poussant un lourd chariot. Deux cadets précédaient le cortège bizarre avec chacun un flambeau pour éclairer la marche, deux autres suivaient portant aussi deux flambeaux. Puis le cortège s’enfonça dans l’obscurité de la galerie et disparut.

Flambard demanda :

— Pouvez-vous m’expliquer. Mons. Verdelet, ce que signifie cette procession aux flambeaux ?

— Ne bougez pas, recommanda Verdelet, et attendez encore ! Comme vous l’avez vu, ce sont les cadets de Monsieur Bigot. Depuis trois nuits ils charroient les coffres d’argent et d’or de Monsieur l’intendant ; à présent ils vont chercher leur dernière charge.

— Oh ! oh ! exclama Flambard, sommes-nous donc dans les cachettes de Monsieur Bigot ou, plus précisément, dans la Caverne des Quarante Voleurs ?

— C’est peut-être l’un et l’autre, ricana Verdelet. Une chose certaine, Monsieur l’intendant n’est pas un imbécile !

— Certes non, ricana le spadassin à ton tour. Mais on peut bien dire qu’il est un peu coquin.

— Oh ! ce n’est pas moi qui lui jetterai la pierre le premier !

— Parbleu !

— Comme on dit, chacun pour soi en ce monde !

— C’est la meilleure charité à pratiquer, sourit malicieusement Flambard.

— Voyez-vous, reprit Verdelet avec un accent convaincu, l’un cherche à sauver sa fortune comme l’autre sa peau…

— Et souvent les deux à la fois, interrompit Flambard.

— Si vous voulez. N’importe, que sauver l’une ou sauver l’autre revient pas mal au même ; de sorte qu’on ne peut sans injustice dire coquin à qui sauve sa peau.

— Non, parce que sa peau est à lui et qu’il ne l’a pas volée ; tandis que l’autre, le plus souvent…

— Il a volé sa fortune ! acheva le garde en se mettant à rire.

Puis il ajouta, ironique :

— Monsieur Flambard, voler, admettez-le, c’est un mot seulement, et un mot pas mal synonyme de prendre.

— Oui, de prendre ce qui n’est pas à soi !

— Bah ! ce sont des nuances qui n’ont aucune valeur, monsieur Flambard.

— La justice sait leur trouver une valeur, ami Verdelet.

— La justice ?… Encore un mot que le monde interprète à sa façon.

— Oui, mais n’empêche que la justice possède de beaux et bons gibets, et qu’elle sait fort bien s’en servir.

— Et qui donc voyez-vous aller à ces gibets ?… Des gueux et des sots ! Mais silence… voici le chariot qui revient !