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LE SIÈGE DE QUÉBEC

— Ah ! ah ! où est l’enfant ?

— Me ferez-vous grâce ? demanda Verdelet que l’épouvante affolait.

— Certainement, si tu me dis la vérité !

— Je dirai la vérité, mais jurez-moi !

— Je jure, répondit Flambard fermement.

Mais à part lui il pensa aussitôt :

— Ah ! gredin, je suis bien décidé, cette fois, à me parjurer !

— Eh bien ! reprit Verdelet, l’enfant du capitaine a été confié à la femme d’un milicien qui habite au delà du Faubourg Saint-Roch… c’est un nommé Aubray.

— Aubray ? Milicien de la compagnie de Jean Vaucourt ? Je le connais. Merci, mon brave Verdelet ! Et maintenant, que le diable rouge de l’enfer t’avale pour le reste de l’éternité… Va !

Flambard lâcha le garde qui poussa un cri effrayant et disparut dans la noirceur de l’abîme.

Flambard se releva, éreinté, étourdi encore, et se mit sur son séant.

Il prit dans ses mains sa tête qui faisait mal atrocement. Ses cheveux étaient tout mouillés d’un liquide qu’il pensa être du sang. N’importe ! il se mit à réfléchir.

— Où suis-je ici ? se demanda-t-il avec une certaine anxiété.

Par un instinct quelconque il leva la tête, et ses yeux ahuris découvrirent un firmament étoilé.

Il bondit de joie folle… la liberté s’offrait à lui !

— Par les deux cornes de satan ! jura-t-il avec stupeur, me voici sauvé encore une fois !

Il était au fond d’une large excavation et il n’avait qu’à grimper une pente presque douce pour se trouver sur terre.


XII

LA JOIE D’UN PÈRE


Le contre-coup de l’explosion avait ébranlé toute la cité, et à plusieurs endroits du côté des faubourgs les remparts s’étaient à demi écroulés ; et la campagne elle-même jusqu’à dix lieues de distance avait été secouée par la force du choc.

Tout ce qui restait de citadins dans la ville et toute la garnison s’étaient mis sur pied à la hâte, pensant que la poudrière venait de sauter. Les poudres et munitions, il est vrai, avaient été transportées à Montréal avant l’arrivée de la flotte anglaise, mais on en avait conservé une quantité assez considérable. L’explosion de la poudrière étant donc possible, on se demandait avec étonnement comment la chose avait pu se produire, lorsque des soldats de la garnison, à leur plus profonde stupeur, découvrirent une immense excavation pratiquée près des remparts entre la porte Saint-Jean et la Porte du Palais, et entourée d’amas de terre et de roc. Nous ne parlerons pas de l’énorme surprise des citadins et de la garnison, ni des mille hypothèses qu’on fit à ce sujet ; nous dirons seulement que l’affaire demeura un mystère impénétrable et qu’on se livra aux conjectures les plus fantastiques.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Verdelet avait-il dit la vérité en confessant à Flambard que l’enfant du capitaine Vaucourt avait été confié à un paysan du nom d’Aubray, habitant au delà du faubourg Saint Roch ? Oui, les deux grenadiers Pertuluis et Regaudin avaient, en effet, confié à Verdelet que l’enfant du capitaine Vaucourt, que Flambard recherchait, était chez ce paysan-milicien, Aubray. Et voici comment la chose s’était faite : en attendant que l’occasion se présentât pour les deux grenadiers de réclamer mille louis au capitaine Vaucourt pour la rançon de son enfant, ils s’étaient rendus chez Aubray. Celui-ci était parti pour le camp de Beauport. Les deux bravi offrirent à la jeune femme, qui se trouvait seule avec son petit enfant et le père du milicien, la garde de l’enfant moyennant la somme de vingt-cinq louis qu’ils lui payeraient de suite, plus vingt-cinq autres louis lorsqu’ils viendraient dans quelques jours réclamer l’enfant qu’ils avaient appelé simplement « le petit Adélard ». Intimidée par les physionomies terribles des deux gaillards, et aussi par pitié pour ce pauvre petit, la paysanne accepta le marché sans oser demander des explications sur la provenance et l’origine de cet enfant.

Avant de se retirer, les deux bravi remarquèrent que le vieux paysan, assis près du foyer, s’amusait avec le petit de la paysanne qu’il avait sur ses genoux, et ils virent la jeune femme aller vivement déposer le petit Adélard dans un berceau.

— Il est entre bonnes mains, le poupard, fit remarquer Pertuluis à son compagnon.

— Oui, répliqua Regaudin, ici il sera beaucoup mieux qu’à notre cambuse !

Et, satisfaits, ils remercièrent poliment la jeune femme, et s’en allèrent.

Les jours avaient succédé aux jours sans qu’aucun incident ne vînt changer la position de nos personnages, puis survint l’affaire de Montmorency. Ce soir-là, après la bataille, le milicien Aubray avait obtenu la permission d’aller rendre visite à sa femme et à son vieux père.

Après les premiers épanchements entre l’époux et l’épouse qui ne s’étaient pas vus depuis près d’un mois, le premier courut au berceau pour y embrasser son enfant. Il poussa une haute exclamation de surprise en trouvant au berceau un enfant qui n’était pas le sien.

La jeune femme sourit, et, lui montrant un lit dans un angle de la pièce, elle dit :

— Le nôtre est là, Anatole !

Le milicien regardait sa femme avec une sorte d’hébétement comique.

Elle lui expliqua de suite comment cet enfant lui avait été apporté un mois auparavant par deux grenadiers inconnus.

— Et tu dis qu’il s’appelle Adélard ?

— C’est ainsi que l’ont nommé ces deux hommes.

— Et ils n’ont pas ajouté un autre nom ?

— Non.