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LE SIÈGE DE QUÉBEC

Peu après, le même cortège repassa sous les yeux du spadassin ; seulement, cette fois, le chariot contenait six gros coffres que Flambard jugea fort lourds, à voir l’effort terrible que faisaient les cadets à le tirer.

— Maintenant, dit Verdelet, quand le cortège eut disparu, nous allons rallumer notre flambeau et poursuivre notre chemin, tout danger a disparu.

Dix minutes après une marche rapide, Verdelet s’arrêta devant la porte ouverte de cette chambre de fer en laquelle nous avons déjà introduit le lecteur. Élevant le flambeau qu’il portait à la hauteur de sa tête, le garde pénétra dans la chambre. Flambard le suivit, sa curiosité était à ce moment si aiguillonnée par ce qu’il avait vu, qu’il était saisi de l’envie de bousculer le garde et de prendre les devants.

Lorsqu’il fut dans la chambre, il remarqua de suite qu’elle était vide. Mais non… son œil perçant et inquisiteur découvrit un coffre qui paraissait oublié dans un angle de la pièce.

— Tiens ! remarqua-t-il, on a oublié ce coffre !

— C’est vrai, fit Verdelet en manifestant une grande surprise. C’est peut-être un présent qu’on nous a laissé, ajouta-t-il en ricanant. Il faut voir ça !

Il s’approcha lentement du coffre, mais cette fois en abaissant son flambeau.

À cette minute, le regard de Flambard se posait sur l’autre porte de fer qui, celle-là, demeurait close. De suite, par un rapprochement rapide, il comprit que cette porte ouvrait sur un autre souterrain, et fort probablement celui qu’il avait traversé avec Verdelet deux mois auparavant. Car il se souvenait encore de cette surface polie que ses doigts avaient rencontrée sur la paroi. Néanmoins, pour être plus certain de la vérité, il décida d’interroger le garde. Il se tourna vers Verdelet. Il tressaillit violemment : il voyait le garde approcher son flambeau d’une sorte de mèche qui émergeait du coffre. Un soupçon traversa aussitôt son esprit. Il esquissa un sourire narquois, puis il se glissa comme une ombre furtive derrière le garde très occupé à sa besogne, gagna la porte ouverte, sortit hors de la cage et repoussa doucement cette porte, juste au moment où un singulier crépitement frappait son oreille.

Toute cette scène s’était passée en si peu de temps que Verdelet n’avait pu s’apercevoir de la disparition de Flambard. Lorsque la mèche qu’il venait d’allumer à la flamme de son flambeau se mit à crépiter, il fit un bond rapide du côté de la porte qui ouvrait sur la galerie souterraine. Il trouva, non sans étonnement et non sans terreur, la porte close. Alors seulement il remarqua la disparition de Flambard.

Il fit entendre un cri terrible, puis il frappa à coups redoublés dans la porte de fer.

— Flambard ! appela-t-il d’une voix qui tremblait d’épouvante.

De l’autre côté de la porte partit un long ricanement, puis la voix nasillarde et railleuse du spadassin jeta ces paroles :

— Hé ! hé ! mon petit Verdelet, tu t’étais bien promis de me faire proprement sauter ; mais je pense à présent que c’est toi qui vas faire la sauterie à ma place… bonne chance !

Le garde lança une imprécation de haine et d’horreur, et se rua vers le coffre : il venait d’avoir le fol espoir d’éteindre la mèche qu’il avait allumée. Mais il n’eut pas fait deux pas qu’une formidable détonation sembla ouvrir la terre tout entière, et le garde se sentit soulevé, emporté…

Au même instant, Flambard, qui avait pris sa course vers l’extrémité opposée de la galerie souterraine, fut violemment projeté par terre par la force de l’explosion. Puis il sentit le sol craquer, s’ouvrir, grincer… À la même seconde, il était soulevé par une force inconnue, transporté à travers une avalanche de terre et de pierres, lui sembla-t-il, puis il tomba lourdement sur ce qui lui parut un amas de terre quelconque. Il demeura là étourdi, presque inconscient, mais avec une vague sensation de vide devant lui. Il demeurait à plat ventre, essayant de ressaisir ses esprits, se demandant s’il était encore vivant ou trépassé.

Trois ou quatre minutes s’étaient écoulées depuis que l’explosion s’était produite, lorsqu’il crut entendre tout près de lui une sorte de râlement. Puis tout à coup il sentit un corps d’homme ou de monstre ramper le long de son corps et le dépasser. Il fit un effort inouï pour reprendre ses sens, à tout hasard il étendit une main et cette main se posa sur ce qui lui parut être un pied humain. Il saisit avidement ce pied et serra… il serra d’autant plus fort que le pied devint aussitôt d’une pesanteur énorme. En même temps un cri affreux sembla monter à ses oreilles, et Flambard sentit que le pied qu’il tenait était un poids qui l’entraînait dans un abîme quelconque. De l’autre main il s’agriffa à une pierre qu’elle rencontra, et il comprit aussitôt qu’il se trouvait penché au-dessus d’un abîme du fond duquel montait un sourd grondement. Il eut alors la vision de ce torrent souterrain qu’il avait franchi en compagnie de Verdelet, deux mois auparavant. Mais par quel prodige se trouvait-il ainsi jeté au bord de ce torrent ? Le mystère demeurait pour le moment impénétrable. Mais ce qu’il réussit à pénétrer, c’est que le pied qu’il tenait solidement dans sa main droite appartenait au garde Verdelet.

Il fit entendre un ricanement sinistre.

— Holà ! cria-t-il d’une voix qu’il ne pouvait plus reconnaître comme sienne, est-ce toi, ami Verdelet ?

— Pour l’amour du ciel, monsieur Flambard, tirez-moi d’ici ! gémit le garde.

— Ah ! ah ! tu n’étais donc qu’à moitié de ton saut ?

— Grâce ! grâce !

— Grâce ! Oui bien.

Notre ami venait d’avoir une idée. Il reprit :

— Je te ferai grâce, ami Verdelet, seulement si tu peux me fournir un renseignement.

— Parlez ! oh ! parlez vite, monsieur Flambard !

— Sais-tu, par tes accointances avec deux gredins de grenadiers que je regrette bien de ne pas tenir ici en ton lieu et place, où je pourrai trouver l’enfant du capitaine Vaucourt ?

— L’enfant du capitaine Vaucourt ? En effet, Pertuluis et Regaudin m’ont raconté un mot de cette affaire.