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Page:Féron - Le siège de Québec, 1927.djvu/82

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LE SIÈGE DE QUÉBEC

— Hé là ! vous autres, cria-t-il, où allez-vous ainsi sans armes ?

Ventre-de-cochon ! jure Pertuluis, nous allons démancher les Anglais !

Biche-de-bois ! dit Regaudin à son tour, nous allons scalper les English !

L’officier se mit à rire.

On se trouvait près de la Porte Saint-Louis où commandait le vicomte de Loys.

— Vicomte, dit l’aide-de-camp, veuillez donner des armes à ces deux braves !

Il désignait Pertuluis et Regaudin.

De Loys les reconnut de suite. Ces deux hommes, comme il le savait, étaient deux gredins de la plus vile espèce, deux gibiers de potence dont il lui aurait plu de purger la société.

Mais, à cet instant, il lui fallait oublier le passé, l’heure était grave, les minutes précieuses ; et puis, après tout, ces deux hommes étaient soldats et ils allaient se battre pour la cause du roi de France !

Il donna des ordres à un sous-lieutenant qui fit remettre aux deux grenadiers des fusils, des rapières et des munitions. Pertuluis et Regaudin s’inclinèrent devant le vicomte.

— Merci, mon gentilhomme, c’est pour la France et le roi !

— Merci, monsieur le vicomte, dit Regaudin à son tour, on va savoir ce que vaut un Français contre dix Anglais !

Ils franchirent à la course la Porte Saint-Louis.

Contre dix Anglais, avait dit Regaudin.

Pas tout à fait… mais presque.


XX

LES PLAINES D’ABRAHAM


Flambard, comme on le sait, en quittant la maison de l’intendant Bigot, avait pris la direction du camp de Beauport, afin de prévenir Montcalm du danger qui menaçait la colonie. Mais ce ne fut qu’aux petites heures du matin suivant qu’il finit par découvrir le général. Celui-ci, aux premiers coups de canons de la flotte de Saunders, était immédiatement parti pour aller inspecter ses lignes, croyant que les Anglais allaient tenter un nouveau débarquement. Ce ne fut donc qu’au matin qu’il apprit l’arrivée des Anglais sous les murs de la ville.

Traçons ici un bref portrait de l’un des plus grands défenseurs de la Nouvelle-France.

De physique, Montcalm était un homme très attrayant. Sa haute culture intellectuelle lui donnait une conversation facile et érudite. Sa voix était généralement douce et persuasive, mais elle tonnait impétueusement dans la bataille. De taille plutôt petite, mais très élégant quand même, toujours soigneusement et richement mis, se battant en jabot et en dentelles, il avait plutôt l’apparence d’un personnage de cour que d’un soldat en campagne. Les traits de son visage très ovale conservaient un grand air de distinction, son front haut et large annonçait l’intelligence et l’énergie et ses yeux très mobiles étincelaient de flammes ardentes. Bien que d’aptitude généralement sévère et grave, ses lèvres ne dédaignaient pas le sourire, sourire toujours charmant qui lui conquérait vivement les sympathies de ceux qui l’approchaient. Il était affable envers ses inférieurs, mais hautain avec ses supérieurs, notamment avec M. de Vaudreuil de qui il relevait.

Au moral, vaillant soldat, mais d’un tempérament chaud, emporté, violent. D’un esprit trop fougueux, il ne mûrissait pas ses décisions. D’un premier coup d’œil, par exemple, il croyait tenir tous les détails d’une opération militaire. Il possédait de fortes théories dans les choses de la guerre, et si son action ne concorda pas toujours avec ses théories, ce fut peut-être à cause de sa trop grande impétuosité. Il faut tenir compte aussi qu’il n’avait pas toute la latitude voulue pour développer ses théories et en appuyer son action, attendu qu’il devait le plus souvent se soumettre aux vues exprimées par M. de Vaudreuil qui était l’autorité suprême. Vaudreuil était la tête, Montcalm le bras droit, mais un bras droit, qui ne fonctionnait pas de bonne volonté et qui se montrait souvent rebelle, car Montcalm croyait être revêtu d’une autorité égale tout au moins à celle de M. de Vaudreuil. Avant de condamner les grandes fautes que commirent ces deux personnages, il importe de ne pas oublier la plus grande faute encore qu’avaient commise le roi et ses conseillers : leur faute fut de n’avoir pas mis à la tête du pays un chef suprême capable de diriger d’une même main les affaires civiles et militaires. Au contraire, ils mirent deux chefs qui cherchaient en toutes occasions à se montrer supérieurs l’un à l’autre, et cette rivalité leur fit commettre des fautes terribles. Que si Montcalm, quoique impétueux, eût été chef suprême avec un M. de Vaudreuil comme simple administrateur des choses civiles, il n’y a pas de doute qu’il eût sauvé la colonie de l’invasion et de la conquête. Et il est à peu près certain aussi que si M. de Vaudreuil eût été général en chef de l’année, avec un Montcalm comme simple aide-de-camp, que les Anglais auraient subi un désastre irrémédiable. Chose plus certaine encore, sans la rivalité et la mésentente de ces deux chefs, on n’aurait pas lu en notre histoire cette page sanglante que fut celle des Plaines d’Abraham. Certes, un chef unique et suprême, il faut l’admettre, n’eût pas empêché le jeu des traîtres ; mais ces traîtres sans les rivalités et les dissensions qui existaient entre les maîtres auraient eu beaucoup moins de chances de faire aboutir leurs trames infâmes. Et une chose non moins certaine : si le marquis de Montcalm avait été la tête dirigeante, il aurait eu tôt fait de rayer de la liste des fonctionnaires les Bigot, les Cadet et les Vergor.

Mais après la faute de l’Anse au Foulon, dont la responsabilité doit retomber sur M. de Vaudreuil, celui-ci allait commettre une autre faute non moins grave, le lendemain, en n’appuyant pas Montcalm sur les Plaines d’Abraham comme il aurait dû le faire. Nous allons voir comment.

D’abord Montcalm ne voulut pas croire la nouvelle du débarquement des Anglais à l’Anse au Foulon apportée par notre ami Flambard. Il y croyait d’autant moins qu’il lui était permis d’observer, aux premières clartés du matin, les manœuvres inquiétantes de la flotte ennemie