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LE SIÈGE DE QUÉBEC

dans la rade de Québec. On eût juré que les Anglais s’apprêtaient à un débarquement sur la plage de Beauport. Il envoya immédiatement un courrier aux nouvelles, tandis qu’il se rendait auprès du gouverneur pour se concerter avec lui. Aussi allait-il apprendre bientôt, et avec quelle stupeur, que non seulement les Anglais avaient débarqué des troupes à l’Anse au Foulon, mais qu’ils étaient déjà en position à un mille à peine des murs de la ville.

En effet, il était environ deux heures du matin lorsque Wolfe avait lancé ses premiers soldats sur les hauteurs de l’Anse. À quatre heures, mille hommes y étaient déjà assemblés. Le poste de sentinelles fut enlevé comme un rien, puis trois cents hommes reçurent ordre d’aller entourer le cantonnement de Vergor dont on pouvait voir les tentes à peu de distance de là, et de faire prisonniers tous ses soldats. Ce qui fut fait promptement, et Vergor lui-même fut capturé dans son lit.

Wolfe avait conduit lui-même ses hommes.

Encore ivre, Vergor regarda un moment le jeune général anglais avec ahurissement, puis il s’écria :

— Ah ah ! je parie, mon général, que vous venez faire la partie avec moi !

— Non seulement je viens faire la partie avec vous, sourit Wolfe, mais je viens aussi la gagner !

Vergor demeura béat.

À cinq heures, Wolfe, avec déjà dix-huit cents hommes et quelques petits canons, gagnait les Plaines d’Abraham où il faisait commencer un système de tranchées et de petites redoutes propres à protéger son armée contre les canons de la ville et les balles des Français. Et d’heure en heure, son armée grossissait : Holmes, à l’Anse au Foulon, ne demeurait pas inactif. Si bien qu’à huit heures le général anglais avait en position cinq mille hommes, tous soldats réguliers. Quant aux hauteurs du Foulon, elles étaient gardées par un détachement de six cents matelots qui avaient reçu ordre de barrer la route à Bougainville, au cas où celui-ci serait venu au secours de la ville.

Lorsque Montcalm apprit cette nouvelle, il était en entretien avec M. de Vaudreuil, l’intendant Bigot et quelques officiers supérieurs. La décision fut vite prise : Montcalm gagnerait la cité immédiatement avec l’armée du centre, c’est-à-dire deux mille hommes, donnerait ordre à M. de Ramezay de l’appuyer avec les soldats de la garnison, et irait prendre position en face de l’armée ennemie. Pendant ce temps, M. de Vaudreuil verrait à faire garder les principaux postes du camp de Beauport en cas d’une attaque possible par les Anglais, puis il ferait mouvoir vers la cité et vers les hauteurs d’Abraham une partie de l’armée de Montmorency, c’est-à-dire deux autres mille hommes, miliciens pour la plupart. Ainsi fait, Montcalm se serait donc trouvé à la tête d’une armée d’un peu plus de cinq mille combattants, et tout aussi forte en nombre que l’armée ennemie.

Des ordres furent donnés immédiatement, et peu après Montcalm avec l’armée du centre se dirigeait vers la ville. On pouvait apercevoir alors sur les hauteurs d’Abraham les lignes rouges de l’ennemi. Il était sept heures.

À huit heures, Montcalm traversait la ville, donnait ordre à M. de Ramezay de l’appuyer avec ses hommes, et lançait ses soldats sur les Plaines par les portes Saint-Jean et Saint-Louis.

Ramezay allait obéir à l’ordre du général, quand survint une estafette de la part de Vaudreuil pour signifier au commandant de la ville de rassembler tous les soldats de sa garnison, de fermer les portes et de se mettre en bon état de défense. Entre l’ordre reçu du général et cet ordre du gouverneur, Ramezay demeura indécis et convoqua ses principaux officiers pour leur demander leur avis. Cette indécision et ces pourparlers firent que Montcalm engagea l’action avant d’avoir sous la main le nombre de combattants nécessaires. De toute la garnison de la ville, cent cinquante hommes seulement prirent part à la bataille : ce furent les 150 hommes que commandait le vicomte de Loys à la Porte Saint-Louis.

De Loys savait par un aide-de-camp que Ramezay avait reçu ordre d’appuyer de mille hommes l’armée de Montcalm, et il attendit impatiemment la garnison pour se joindre à elle et marcher à la bataille. Au moment où dix heures sonnaient aux horloges de la ville, la bataille s’engageait. De Loys, ne voyant pas venir Ramezay, rassembla les cent cinquante hommes de son poste et à leur tête s’élança vers les Plaines d’Abraham. C’était tout ce que Montcalm allait avoir des soldats de la garnison. Il allait encore manquer des miliciens de Beauport retenus dans le camp par Vaudreuil dans la crainte d’une attaque de la flotte ennemie, si bien que Montcalm, avec des forces à moitié moindre que celles de l’ennemi, engagea une action qu’un miracle seul aurait pu tourner à son avantage.


XXI

LA BATAILLE


En arrivant sur les Plaines, Montcalm avait trouvé l’armée de Wolfe prête à l’action. Cette armée formait trois carrés, comme si le général anglais avait redouté une attaque sur ses flancs, soit du côté du Cap-Rouge d’où pouvait survenir Bougainville, soit du côté de la Rivière Saint-Charles et du camp de Beauport d’où Vaudreuil aurait pu envoyer des secours. Ainsi disposée l’armée anglaise pouvait faire face à toutes éventualités, sans compter qu’un bon corps de réserve demeurait posté dans les tranchées et redoutes construites à la hâte.

Mais Bougainville ne viendrait que trop tard : le courrier que lui avait dépêché Montcalm n’avait trouvé le colonel qu’au moment même où la bataille s’engageait. Et quant à Vaudreuil, il n’allait songer à envoyer des renforts qu’au moment où la bataille serait à peu près perdue pour les Français.

Devant cette armée ennemie bien retranchée et disposée, et beaucoup plus nombreuse qu’il n’avait pensé, Montcalm éprouva une vive surprise et un certain désappointement. Avec les milices de Sénézergues et de M. de Saint-Ours, qui l’avaient rejoint peu après son arrivée sur les Plaines, Montcalm fit le compte de ses combattants. Après M. de Saint-Ours, Jean Vau-