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LES CACHOTS D’HALDIMAND

pleins de fièvres et rougis lançaient de telles lueurs, lorsqu’il regardait ses ennemis, que ceux-ci n’en pouvaient supporter l’éclat. Et lorsque sa voix âpre et mordante vibrait ainsi :

— Messieurs, vous dites que j’ai trahi la couronne d’Angleterre ! Cette accusation est terrible, pensez-y ! Prenez garde que cette arme redoutable que vous osez manier contre moi, ne se retourne soudain en vos mains et ne frappe des vôtres à la face !

Les Anglais avaient peur… des cœurs tremblaient d’anxiété, des regards se cachaient. Et tous ces ennemis sentaient comme une malédiction tomber sur leurs têtes, lorsque la voix de Du Calvet, devenue caverneuse, ajoutait :

— Qu’on me condamne… je préfère la mort, même la mort ignominieuse, à l’obscurité humide de vos cachots ! Cette mort ne sera qu’apparente ! Vous tuerez le corps, si vous voulez, mais jamais ! oh ! jamais, entendez-vous ? jamais, ô bourreaux monstrueux ! vous ne tuerez l’âme noble, fière et généreuse qui vit et palpite sur ce sol fertilisé par le plus pur sang de la France !…

Les juges, impressionnés, remués, troublés, ne purent s’accorder sur un verdict de culpabilité, et Du Calvet, majestueux, reprit le chemin de son cachot.

Quelques jours plus tard, il allait être transféré au Couvent des Récollets où les autorités allaient avoir un peu plus d’humanité en lui faisant donner une petite chambre éclairée et saine. La Providence avait fait qu’il se trouvât voisin de Darmontel avec qui il put, par la suite, s’entretenir à travers la muraille qui les séparait. C’est là que, durant deux années consécutives, Du Calvet allait tant souffrir et vieillir, c’est là qu’il allait puiser tant de haine contre les ennemis de notre race, c’est là qu’il allait préparer cet admirable livre qui, plus tard, rallierait à la cause canadienne et française la majorité des Anglais, livre qui demeurerait comme un bloc de granit posé en terre canadienne, étalant sur sa table de pierre les premières libertés du Canada français que la Constitution de 1791 allait victorieusement proclamer !

Ô Du Calvet ! que l’hommage de la race ne cesse de s’élever vers toi ! Tu fus, ô grand patriote, le premier lutteur acharné de notre cause, tu fus le premier martyr de nos libertés ! Que ton nom au sein de la race demeure impérissable ! Qu’un jour… plus tard, quand sonnera le glorieux triomphe de cette race dont tu fus l’héroïque chevalier, tout ce peuple, plein de la même fougue qui fit palpiter ton âme, s’agenouille devant ton piédestal ! Que du haut de cette fière citadelle de la Nouvelle-France, qui connut ton long martyr, se hausse vers nos cieux rayonnants le bronze inaltérable de ta figure noble ! Et que ton geste alors, au lieu de foudroyer comme naguère, se pose paternellement au-dessus de nos fronts courbés ! Car tu ne fus pas seulement un homme, ô Du Calvet, tu fus un peuple ! Car dans ta main généreuse tu tiens toute notre histoire ! Tourne maintenant chacune de ses pages aux yeux de l’univers, afin qu’on sache ce que nous fûmes et par qui nous fûmes !…

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À l’automne de cette même année, un nouveau tribunal fut constitué pour essayer de condamner Du Calvet ; car, disons-le, Haldimand ne pouvait demeurer tranquille qu’il ne sût ce français mort et impuissant à tout jamais. Mais pas plus que le premier, ce tribunal ne put s’accorder.

Du Calvet fut rejeté en prison.

On activa de ce jour les fournées aux cachots !

On n’attendait plus que le Canadien eût conspiré ou qu’il eût prononcé publiquement des paroles déplaisantes à l’oreille d’Haldimand… un simple soupçon ou de conspiration ou de rébellion suffisait pour jeter un citoyen aux fers. Québec ne fut plus qu’une immense prison d’où s’échappaient les plaintes, les gémissements, les imprécations, les colères, les haines…

Devant la vision d’une telle tyrannie, le peuple des campagnes commença de murmurer. Au lieu de diminuer, l’agitation augmenta. De toutes parts un bruit de révolte se faisait, se répandait. Des fronts paisibles longtemps courbés se levaient. Les regards se chargeaient de lueurs étincelantes. Des gestes de menace s’ébauchaient. Des poings se tendaient. Qu’allait-il arriver ?… Haldimand, devenu plus soupçonneux, plus ombrageux, plus furieux, voulut dompter le peuple par la reprise des terribles corvées dont la race avait tant souffert à la fin du gouvernement de Carleton. Le suicide de la race par l’exode recommençait. Les Américains, qui se voyaient chez eux des maîtres, ne cessaient leurs efforts pour entraîner dans leurs États les enfants du pays. Était-ce donc, enfin, la dispersion de la race ? Hélas ! ils partaient, les enfants du pays… Alors, malgré la tyrannie dont ils souffraient eux-mêmes, malgré leur haine pour l’étranger qui les voulait enchaîner, les patriotes se