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revenaient qu’aux petites heures du jour suivant.

Peu après le tintement de neuf heures, on aurait pu distinguer une petite embarcation montée de cinq hommes, dont quatre maniaient les avirons, se diriger vers le plus petit des trois navires de guerre, celui qui occupait le milieu de la ligne. C’était un brick. L’embarcation ne faisait aucun bruit, elle semblait glisser sur la crête des vagues comme une ombre. D’ailleurs il aurait été impossible de saisir le bruit des avirons dans le mugissement des vagues et les sifflements du vent. Le cinquième personnage, qui était enveloppé soigneusement dans un ample manteau noir avec un capuchon qui retombait sur sa tête, demeurait tourné vers le brick duquel il ne détachait pas ses regards perçants. Comme ses hommes, il était silencieux. Le capuchon qui retombait sur sa tête ne permettait pas de voir son visage en entier, mais on aurait pu reconnaître, à l’aide d’une lumière, la figure énergique de Saint-Vallier.

Lorsque l’embarcation ne fut plus qu’à quelques toises du navire de guerre, Saint-Vallier donna à voix basse quelques ordres aux rameurs, qui aussitôt donnèrent à l’embarcation une autre direction. L’instant d’avant ils allaient droit sur le navire, maintenant ils s’écartaient de cette ligne pour prendre une direction sud-ouest. Bientôt ils piquèrent vers le sud, mais l’instant d’après ils tournaient dans la direction nord-est et ramaient encore une fois en droite ligne sur le brick. Saint-Vallier, qui voulait aborder le navire, voyant que le veilleur faisait le guet sur le côté nord, c’est-à-dire à tribord, avait décidé de faire un détour et d’aller aborder par bâbord, c’est-à-dire du côté sud.

— Attention ! souffla-t-il peu après à ses hommes.

Dans la nuit obscure on ne distinguait que difficilement la silhouette du navire. Saint-Vallier n’avait pour le guider que la lanterne pendue au mât d’artimon. Les rameurs arrêtèrent leurs avirons et l’embarcation fut poussée contre les flancs du navire par les vagues. Saint-Vallier, à l’aide d’un aviron, avait empêché le choc de se produire. L’embarcation avait approché le navire à peu près vers le milieu. Rapidement Saint-Vallier lança contre le parapet une courte échelle de corde munie de grappins, puis il grimpa à cette échelle et atteignit la minute d’après le parapet. Il l’enfourcha, prêta l’oreille et essaya de découvrir dans la noirceur et à travers les mâts et les cordages la silhouette du veilleur. Il le vit bientôt passer devant la lumière accrochée au mât d’artimon. Alors il détacha rapidement l’échelle et la laissa tomber dans l’embarcation et jeta cet ordre :

— Éloignez-vous… vous reviendrez au signal convenu !

En moins d’une minute l’embarcation s’était perdue sur les flots noirs.

Alors Saint-Vallier sauta sur le pont du navire au moment où le veilleur revenait de l’arrière, puis il gagna en rampant l’écoutille et s’engagea hardiment dans le court et raide escalier. Il se trouva dans un couloir éclairé par une lanterne dont on avait baissé la mèche. Saint-Vallier sourit, décrocha la lanterne et s’en éclaira pour suivre ce couloir. Il arriva en face d’une cloison qui fermait un compartiment de l’arrière du navire. À sa gauche il aperçut un second escalier qu’il descendit pour se trouver dans un autre couloir, qui formait comme un pont intérieur et longeait la paroi du navire à tribord. Mais avant de suivre ce pont, le jeune homme s’arrêta devant une porte au pied de l’escalier à travers laquelle il venait d’entendre certains bruits. Il écouta : c’étaient des bruits d’ustensiles et de vaisselle, et mêlé à ces bruits il saisissait le murmure d’une conversation de deux êtres humains. Saint-Vallier promena autour de lui la lueur de sa lanterne et découvrit une autre porte à sa gauche, mais une porte ouverte donnant sur un compartiment intérieur placé à peu près au centre de bâbord à tribord, et par cette porte il découvrit des bancs et des tables, et sur les tables un pêle-mêle d’écuelles, de tasses et autres ustensiles. Il comprit que ce compartiment était le réfectoire. Il comprit également que la porte fermée à droite était la porte des cuisines. Satisfait, il enfila le couloir en se dirigeant vers l’avant du navire, Il marchait sur la pointe des pieds, bien que ses pas n’eussent pu être entendus à cause du bruit des vagues qui battaient les flancs du navire et du vent qui rugissait dans les mâts et les cordages au-dessus de sa tête sur le pont supérieur. Saint-Vallier marcha ainsi à peu près jusqu’au milieu du navire où se trouvait un passage transversal, très étroit, auquel on arrivait après avoir descendu trois marches. Le jeune homme descendit ces trois marches, puis il fit dix pas et arriva à un autre passage horizontal, très court celui-là, au bout duquel se trouvait un escalier qui ressemblait plutôt à une échelle.

Avant de s’engager dans cette échelle, Saint-Vallier plongea sa lanterne dans ce qui lui paraissait un trou fort sombre. Il vit