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LES CACHOTS D’HALDIMAND

tellement terrifiés qu’ils s’étaient réunis un soir en un mystérieux conciliabule chez l’un de leurs associés, le major Toller.

C’était au mois de novembre 1783.

Les trois hommes s’étaient réunis dans un petit cabinet-bibliothèque, autour d’une table placée près d’une cheminée qui les éclairait.

Tous trois parlaient à mi-voix. Leurs paroles étaient rudes, brèves, saccadées. Leurs lèvres tremblaient, leurs regards étaient chargés de haine, leurs gestes avaient des mouvements foudroyants.

— À moins d’agir vite, disait le colonel Buxton, nous sommes tous perdus !

— Il faut frapper… mais frapper sûrement ! gronda Foxham.

— Frapper au cœur ! ajouta Toller.

Ce major Toller était un gros homme, fort joufflu et fort corpulent, qui ne vivait que pour les joies qu’apporte l’existence aisée. Sa situation lui rapportait bon an mal an dix mille livres sterling. Jamais en Angleterre il n’avait gagné autant, car il était venu au Canada comme un simple subalterne qu’Haldimand avait élevé, après sa nomination au poste de lieutenant-gouverneur, à une situation importante de sa maison militaire.

— Car, reprit Buxton, si Haldimand est rappelé, nous tombons !

— Il sera certainement rappelé, si ce damné Du Calvet continue son tapage à Londres ! dit Foxham avec un accent de haine indicible.

— Hé ! s’écria tout à coup Toller, que n’avez-vous frappé lorsque vous en aviez l’opportunité ?

— Savais-je qu’il allait un jour revoir la lumière du soleil ? rugit Foxham avec colère.

— Certes, nous ne pouvions prévoir ! admit Buxton.

— Ces imbéciles de juges ne parvenaient pas à s’entendre ! gronda Foxham.

— Il aurait fallu leur mettre le couteau sur la gorge ! grommela Toller.

— Écoutez, reprit Foxham. J’ai médité un plan : celui de me rendre en Angleterre et de faire disparaître Du Calvet.

Good ! cria Toller. Là-bas, on ne saurait vous soupçonner de cette disparition, tandis qu’ici…

— Il ne faut pas oublier, intervint Buxton, que Du Calvet sera sur ses gardes !

— Certes, admit Foxham. Mais il sera facile de l’attirer dans un piège.

— Et vous vous chargeriez de cette besogne ? interrogea avidement Toller.

— Je suis prêt à m’en charger à deux conditions.

— Dites ! fit Toller en prenant sur la table à une écritoire une plume pour mettre en note les conditions du lieutenant.

— Première condition ; il faut une somme de vingt-cinq mille livres pour couvrir les frais de l’entreprise. De ma propre bourse j’y vais de suite de cinq mille livres.

— Il reste vingt mille livres, dit Buxton.

— Ajoutez de ma part cinq autres mille livres, dit Toller.

— Et cinq mille de la mienne, reprit Buxton.

— Ce qui fait de suite quinze mille livres, dit Foxham. Il ne reste donc plus que dix mille livres à trouver.

— Je me charge de cela, déclara Toller. Et maintenant, voyons l’autre condition.

— Seconde condition, dit Foxham, c’est un homme de ma trempe qu’il me faut pour me seconder.

— Je suis cet homme ! prononça Buxton en frappant la table de son poing.

— Donc, tout va bien, reprit Foxham. Il ne reste plus qu’à nous entendre sur la marche à suivre, sur le plan définitif à adopter, plan que nous pourrons modifier là-bas suivant les circonstances.

— Et qu’à partir de suite ! compléta Toller.

— Sans doute. Quand part le prochain navire ? demanda Foxham.

— Le prochain et dernier, dans huit jours.

— Eh bien ! dans huit jours nous serons prêts ! déclara Foxham.

Cette fois Du Calvet venait d’être pour tout de bon condamné à mort. Puisque le tribunal et les cachots d’Haldimand n’avaient pas réussi, ces hommes allaient réparer l’insuccès !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Dans un salon qui attenait au petit cabinet-bibliothèque, Marguerite Toller, tremblante et livide, avait entendu ces propos et saisi toute la trame.

Malgré son caractère peu sérieux, elle avait un cœur bon et charitable. Jamais elle n’avait soupçonné son père d’être mêlé à cette clique pernicieuse qui n’avait cessé d’entretenir dans l’esprit d’Haldimand la haine et la tyrannie. Margaret, à cette découverte, en demeurait tout éperdue.

Quant à Foxham, elle s’imaginait bien un peu qu’il avait manigancé quelque chose de mystérieux et de sombre, mais elle avait toujours pensé que c’étaient des affaires de politique dont elle ne se souciait nullement de se préoccuper. Elle connaissait fort bien la