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LES TROIS GRENADIERS

Tiens ! suis-je un peu simple ? Cette brave femme d’Aubray me prêtera bien une écritoire et un bout de papier !…

Mlle Deladier était femme de décision et d’action : sitôt dit, sitôt fait. Elle jeta son manteau sur ses épaules et alla d’un pas rapide frapper à la maison du lieutenant Aubray. Sa femme vint ouvrir.

— Ah ! c’est vous, mademoiselle ! s’écria cette dernière sans trop de surprise. Entrez… entrez…

— Non, merci, brave femme. Je désire écrire un mot ou deux à Monsieur le commandant du fort, et je viens vous demander de me prêter une écritoire et un papier.

— Une écritoire et un papier ! fit la paysanne avec surprise cette fois. Je crois bien que nous avons l’écritoire et le papier, mais je ne sais pas au juste où trouver ces objets. Il va falloir que je cherche un moment. Entrez, tout de même, il fait trop froid pour rester dehors.

La jeune fille se rendit à l’invitation. Le lieutenant n’était pas à la maison, et sa femme demeurait seule avec son enfant et le vieux père Aubray. Celui-ci, paisiblement assis sur une berceuse devant la cheminée, berçait sur ses genoux l’enfant endormi.

— Il est mignon, ce petit ! dit Mlle Deladier. C’est votre enfant, madame ?

— Oui, mademoiselle. Pauvre petit ! il est souffrant depuis quelques jours, et je pense qu’il a pris du froid.

Tout en disant ces paroles elle fouillait dans un placard. Bientôt elle trouvait l’écritoire et un papier qu’elle tendit à la jeune fille.

— Merci, ma bonne femme, je vous rapporterai ces choses dans une heure.

Elle s’en alla pour rentrer vivement chez elle et écrire le billet suivant :


« Je suis venue ici sur l’ordre de Monsieur l’intendant pour vous délivrer. Tenez-vous prêt ! »
E. D…


Un peu plus tard elle allait rendre l’écritoire à la femme d’Aubray, puis elle se mettait à parcourir le fort, sans se préoccuper de la curiosité qu’elle suscitait parmi les soldats de la garnison qu’elle croisait un peu partout. Elle suivit d’abord le chemin de ronde en se dirigeant vers la porte de la palissade. Il était environ dix heures, et lorsqu’elle atteignit la porte les appels sonores d’un clairon retentirent : c’était l’heure des exercices militaires sur la Place d’Armes. En quelques minutes toute la garnison se trouvait rassemblée à cet endroit, de sorte que le reste de la place demeura désert. Mlle Deladier avait dépassé la porte puis les étables. En se rappelant les indications de la femme d’Aubray, elle pouvait apercevoir la case où Foissan était prisonnier. Cette case était bien reconnaissable avec sa porte bardée de fer et cadenassée. Voyant qu’elle n’était pas observée, la jeune fille y courut, glissa son billet sous la porte par le mince interstice qu’on y découvrait, et elle frappa trois ou quatre fois la porte de son poing afin d’attirer l’attention du prisonnier. Puis elle se sauva rapidement vers le chemin de ronde et rentrait chez elle peu après. Mlle Deladier avait agi au bon moment, car à peine était-elle entrée dans sa case qu’un gardien pénétrait dans la geôle de Foissan.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ce matin-là, après que Mlle Deladier eut été installée dans son logis temporaire, Jean Vaucourt avait parcouru le fort, donné des ordres ici et là, puis il était rentré chez lui. Sa femme se trouvait avec Marguerite de Loisel et le petit Adélard dans une pièce reculée où les deux jeunes femmes se faisaient leurs confidences. Vaucourt ne voulut pas les déranger et il entra dans la chambre qu’on avait mise à la disposition du vicomte. Celui-ci, pour passer le temps, lisait.

— Ah ! j’ai une nouvelle intéressante à vous communiquer, vicomte ! s’écria le capitaine en entrant.

— Voyons ! fit de Loys avec curiosité.

— Pertuluis et Regaudin sont de retour au fort.

— Ah ! ah !

— Mais pas seuls… en compagnie d’une femme !

— Vraiment ?

— Ah ! ne put s’empêcher de rire le capitaine, vous ne pouvez vous imaginer la méprise que les deux pauvres diables ont commise ? J’aurais voulu que vous fussiez là pour voir la figure de nos deux amis, vous n’auriez pas manqué de rire.