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Page:Fétis - Biographie universelle des musiciens, t1.djvu/37

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xxxiii
PRÉFACE.

La musique est soumise à des transformations qui, dans leur nouveauté, après avoir été l’objet de quelques dissidences d’opinions, finissent par s’établir si bien, que chacune d’elles, à son tour, obtient une sorte de culte exclusif et devient la musique à la mode, c’est-à-dire la musique en dehors de laquelle il n’y a rien d’admissible. Mais comme on se lasse enfin de toute chose dont on fait un usage constant, d’autres formes succèdent à celle-là et obtiennent aussi des préférences générales et absolues. À chacune de ces périodes de l’art, soit dans le genre de la musique, soit dans le mode d’exécution, s’attache une idée de progrès qui n’est qu’une erreur et qu’une courte vue de l’esprit. L’invention ne saurait être en progrès dans les arts : seulement l’ordre d’idées d’après lequel on invente peut varier ; en sorte que ce qu’on appelle en général progrès n’est que transformation. À la vérité, chaque ordre nouveau d’idées a introduit dans l’art des richesses plus grandes sous le rapport de la variété des effets ; mais il n’en est point résulté qu’on se soit approché plus près du but de l’art, qui est l’émotion ; car l’émotion n’est pas aujourd’hui plus vive qu’elle n’était alors que la base de la musique avait une forme différente de celle qu’on lui voit maintenant.

D’ailleurs, remarquez que la variété, seul résultat progressif qui aurait pu être obtenu par la transformation de l’art, est précisément ce dont personne ne s’est occupé. À chaque changement de forme, les formes antécédentes ont été oubliées de telle sorte, qu’on a eu des effets d’espèce différente sans en augmenter le nombre. Les formes anciennes ont été successivement délaissées, et malgré les inventions nouvelles, on ne s’est jamais trouvé plus riche d’émotions. Or, c’est précisément en cela que je me trouve différent de ceux de mes lecteurs qui pourront sourire de pitié en lisant les éloges que je donne à des choses dont ils ne soupçonnent pas même le mérite. À ceux-là qui dans la vogue de la musique de Rossini ne croyaient pas qu’on pût en entendre d’autre ; à ceux qui, après avoir admiré Paganini n’admettent pas qu’il y ait des violonistes d’un autre nom ; à ceux qui tour à tour enthousiastes d’un talent, puis d’un autre, brisent sur l’autel de l’idole du jour la statue érigée par eux la veille, je ne ferai jamais comprendre ce que sont les beautés de tous les genres et de touts les temps ; mais des esprits moins prévenus et d’une plus haute