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rêtez ! je veux aller au cimetière ! »

À l’éblouissement succédèrent des ténèbres profondes.

Roland courait encore, mais en zig-zag, comme un homme ivre.

Ses oreilles étaient entourées de larges rumeurs. Il lui parut que des étincelles ruisselaient impétueusement de son front jusqu’à terre.

Il tomba et ne fit aucun effort pour se relever, mais il baisa le pavé de la rue, pensant :

— Je suis arrivé : ceci est la tombe de ma mère !

La nuit sonna toutes ses heures au clocher voisin. La ville s’endormit, lasse d’orgie ; l’aube naquit, froide et triste.

Roland était couché de son long sur la terre. Une pluie patiente tombait sans bruit, mettant un mince filet d’eau dans le ruisseau qui se précipitait en microscopiques cascades. Le ciel gris montrait son étroite bande entre les pignons dentelés. C’était une de ces vieilles rues, reliques de Paris père, dont Paris fils a amputé récemment les derniers tronçons ; d’un côté elle montait à pic vers Sainte-Geneviève, de l’autre, frayant son chemin tortueux parmi les masures où le Moyen-Âge tout entier revivait, à cette heure indécise, elle allait heurter l’hôtel de Cluny.

Personne ne passait. Juste au-dessus de l’endroit où Roland gisait, semblable au cadavre d’une pauvresse, morte de faim, un réverbère balançait sa mèche fumeuse, en gloussant plaintivement.

La lueur du réverbère éclairait une maison vaste et délabrée au devant de laquelle pendait un tableau, enluminé bizarrement. Ce tableau représentait un rapin barbu, en costume de sauvage, debout, les pinceaux et la palette à la main, en face d’une toile, tendue sur châssis, où deux hommes demi-nus luttaient à main plate, au milieu d’une foule de crocodiles, de tigres, de serpents, d’enfants, de bonnes et de militaires.

Au-dessous du tableau, un écusson presque effacé par l’âge portait :

Cœur d’Acier, peintre d’enseignes,
fait les grands tableaux
pour MM. les saltimbanques et artistes en foire