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Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/204

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L’autre était plus brave que lui et plus beau que les anges !

— Tu as sommeil, ma fille, prononça rudement Lecoq. Tu rêves.

Marguerite se tut. Du bout de la badine qu’il tenait à la main, M. Lecoq fouetta les doigts du cocher endormi qui se dressa sur son siège et rassembla mécaniquement ses guides.

Marguerite demanda :

— Est-ce que dans cette affaire où il y a un duc, je pourrais devenir duchesse ?

— Parbleu ! repartit Lecoq en riant.

Il lui offrit son bras pour monter en voiture et ajouta froidement :

— C’est la moindre des choses pour la maîtresse de Toulonnais-l’Amitié… À la maison, Jacobi !

Le cocher enleva ses chevaux.

Roland se mit debout sans efforts. Il semblait qu’un choc électrique favorable eût rendu la vie à ses membres. Le trouble était maintenant à son cerveau. Quand la voiture, lancée déjà au grand trot, tourna l’angle de la rue Corneille, il appuya ses deux mains contre son front et murmura :

— Marguerite !… Marguerite !… Moi, je vais à la tombe de ma mère.

Il se mit en marche, en effet ; mais au lieu de prendre le chemin du cimetière, il suivit la voiture de Marguerite. La nuit se faisait de plus en plus dans sa pensée ; cependant il allait aisément et bien. Comme il traversait la place du théâtre, il reçut plus d’un choc dans la foule et ne s’en aperçut point. Il était fort. Dans la rue Racine, il put courir.

À cent pas de la place, la rue était déjà obscure et solitaire. Derrière lui, Roland entendait le fracas du carnaval ; devant, c’était le silence. Il chercha des yeux la voiture qui avait disparu depuis longtemps.

Cent pas encore et le pavé oscilla sous lui, comme le pont d’un navire qui tangue. Il revit la voiture au milieu d’un grand éblouissement. La voiture était découverte et glissait sous de grands arbres, baignés dans le soleil. Marguerite, en robe blanche, avec ses longs cheveux fleuris tombant sur ses épaules nues, se penchait vers un jeune homme…

« C’est moi ! se dit Roland que le vertige emportait, je me reconnais bien. Ar-