Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/286

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car la rencontre avait eu lieu au cimetière, et parmi les arbres pleureurs qui fuyaient au fond du tableau, on devinait vaguement des tombes.

Il y avait longtemps déjà. Rose aurait pu dire combien de mois, combien de jours s’étaient écoulés depuis lors. C’était un matin de la fin du printemps, une belle et chaude matinée ; le bleu du ciel pâlissait sous les vapeurs légères qui le marbraient délicatement, jetant un voile de langueur au-devant des regards du soleil. Chacun de nous a connu cette heure d’ardente et molle fatigue, où tel chant lointain serre tout à coup le cœur, où la tête ne saurait supporter le parfum d’une rose effeuillée.

Rose et Nita étaient au couvent.

Nita, orpheline depuis trois mois, voulut visiter la tombe de son père ; elle pria son amie de l’accompagner, et toutes deux partirent sous la garde d’une religieuse.

La sépulture monumentale des ducs de Clare gardait un air d’abandon qui frappa Nita dès son arrivée et d’autant plus que derrière le funèbre édifice, une pauvre simple tombe, marquée seulement par une table de marbre blanc, s’entourait d’un étroit parterre, tout brillant de fleurs nouvelles.

Assis sur un banc de gazon, au pied de la petite tombe, se tenait un jeune homme très beau qui ne s’aperçut point de leur approche, tant sa douloureuse rêverie le tenait. Il avait un crayon à la main et un album sur ses genoux. L’album ouvert montrait un croquis commencé : des arbres et des tombeaux.

Rose n’avait accordé au beau jeune homme qu’un regard distrait, mais Nita éprouva une sorte d’étonnement à son aspect et se demanda, comme si elle eût poursuivi en vain un fugitif souvenir : où donc l’ai-je rencontré déjà ?…

À cette question, sa mémoire ne voulut point répondre. Elle s’agenouilla et pria.

Nita portait sa robe de deuil, Rose n’avait point le costume de pensionnaire ce