Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dessin et couleur, au divin matérialisme d’un chef-d’œuvre de Rubens, quand ces lèvres voluptueuses vibraient et frémissaient, c’était orgie !

Marguerite était belle bruyamment et insolemment.

Quel âge, cependant, donner à l’ovale parfait de ce visage, aux reflets de cette chevelure, aux épanouissements hardis de ce sein ?

« Elle a l’âge qu’elle a. » Roland répondait ainsi aux questions de la voisine. Le duvet vierge de la jeunesse restait aux fossettes de ses joues ; ses tempes bleuâtres gardaient les gammes délicates de la récente floraison ; mais ses yeux disaient : il y a longtemps !

Elle était seule. Le costume de la reine théâtrale dont elle avait pris le nom pour quelques semaines la drapait à miracle. Elle attendait ce qu’on appelle « le plaisir », l’heure de la collation rieuse avant l’heure agitée du bal ; elle attendait, sans impatience et comme on sommeille. Elle s’ennuyait.

Un chien bichon aux longues soies, pareilles à des franges, dormait sur le tapis.

Une voix d’homme monotone et rauque chantait quelque part dans la maison un cantique d’ivrogne.

Quand huit heures sonnèrent, elle écouta.

— Oui, dit-elle, cent mille livres de rentes me suffiraient pour commencer.

Ses belles lèvres eurent un amer sourire ; elle pensa tout haut :

— Je suis peut-être trop belle… et certainement j’ai trop de cœur !

— Ohé ! Marguerite ! cria la voix rauque, viens causer nous deux.

— Non, répondit-elle.

— Alors, je vas laisser brûler le rôti.

— Laisse brûler, fit-elle avec fatigue.

Elle se leva indolemment et s’assit de travers devant son piano qu’elle ouvrit. Ses doigts d’almée caressèrent les touches et le piano chanta. Roland avait raison : c’était une grande artiste.

Mais l’art, aujourd’hui, n’était pas le bienvenu, car elle referma l’instrument d’un geste brusque et mit sa tête sur sa main. Un peintre eût saisi ce moment pour jeter sur la toile la Vénus de notre France méridionale, belle autrement et plus belle que l’Italienne ou l’Espagnole.