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Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/339

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che, laissaient mourir le feu dans l’âtre. Au-dehors, les derniers rayons du crépuscule montraient les grands arbres du jardin poudrés de neige et lentement balancés par le vent.

Nous le vîmes jadis, Léon Malevoy, dans cette même maison de la rue Cassette, qui était alors l’étude Deban, nous le vîmes par une nuit de carnaval, beau, jeune, hardi, joyeux et fou, avec un madras de femme sur le pied de son lit, demandant : « Quelle heure est-il ? » comme tous ces autres fous qui allaient devenir criminels. Vous souvenez-vous ? Son front fier ne ressemblait point aux autres fronts de cette bohème de la basoche ; il pouvait avoir le diable au corps, mais la franchise et l’honneur étaient dans ses yeux ; il se montrait prompt à parler d’épées, mais sans rancune ni fiel, et cette crânerie d’enfant allait bien à son costume de Buridan, si lestement porté.

Maintenant que nous le retrouvons après ces dix ans écoulés, il était beau encore ; peut-être encore était-il fier et hardi. Certainement, il n’était plus joyeux.

Son regard couvrait la lettre d’invitation avec une fixité morne. Il pensait profondément et laborieusement. L’ambition creuse ces rides précoces, le chagrin aussi. Léon Malevoy avait désiré beaucoup, sans doute, et beaucoup souffert. Il appuyait sa main pâle sur son front, blanc comme un ivoire, et couronné de cheveux déjà plus rares. Sa bouche avait un sourire amer et triste.

Êtes-vous de ceux qui croient encore aux physionomies professionnelles ? Chez nous, en France, plus que partout ailleurs la physionomie des divers États est morte. J’ai habité une maison du Marais où le concierge prenait le titre de « conservateur ». Il allait au cercle. Au cercle, on l’appelait major. Sans exagérer, il avait l’air pour le moins, d’un ancien écuyer du Cirque Olympique. Je dis ancien : les nouveaux n’ont plus d’air.

Les notaires ont résisté longtemps, plus longtemps que les avocats, plus longtemps que les avoués ; ils n’ont cédé qu’à la ter-