Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/400

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filles aux traits délicats et presque enfantins. Pour lui, l’illusion arrivait au surnaturel. Et il fallait ce regard subtil qui filtrait par instants sous les longs cils de Marguerite pour le rappeler au sentiment de la réalité.

— Vous avez rajeuni, dit-il, tandis que nous devenions vieux.

Elle eut un sourire content et coquet qui n’avait pas vingt ans.

— À la bonne heure ! fit-elle du bout des lèvres. Nous réveillons-nous, mon pauvre Léon ? Je prends cela pour une galanterie et pour une vague preuve de présence d’esprit. C’est vrai, j’ai rajeuni. Et nous allons pouvoir causer, n’est-ce pas, Monsieur de Malevoy ? Il est temps.

Ces derniers mots furent prononcés d’un ton sérieux et même sévère.

Elle pointa de son doigt d’albâtre le paquet de petits dossiers que Léon avait remis sous leur enveloppe au moment de son entrée.

— Qu’est-ce que cela ? demanda-t-elle.

— La lettre d’invitation ?… commença Léon.

— Non, ce cahier de notes… Mais ne répondez pas. J’ai lu de loin deux ou trois noms, je sais parfaitement ce que c’est. Vous avez pris une terrible peine, savez-vous ? Je suis sûre que vous pourriez raconter l’histoire ancienne et moderne des de Clare depuis le temps de Jacques II jusqu’à nos jours. Après tout, ce n’est pas une belle histoire, et je ne voudrais pas jurer que ce bon duc, ami de Louis XVIII, ait monté tout droit en paradis. Cette vieille sempiternelle, la religieuse de Bon-Secours, est une nonne de mélodrame : ce qu’elle avait sur la conscience ne nous regarde pas. J’ai peine à croire que je me fasse ainsi ermite, quand je deviendrai vieille, Monsieur de Malevoy. Quelle charmante fille que cette Nita ! Elle était bien assez intelligente pour me deviner et m’aimer, mais on l’a mise en défiance de moi. C’est dommage. Quant à cette madone dauphinoise, la duchesse Thérèse, j’ai bien un peu mon idée. Je n’admets pas l’idiotisme poussé au-delà de certaines bornes. La duchesse Thérèse, dans son taudis de la rue Sainte-Marguerite, avec ses vingt mille francs de diamants et son grand fils, à qui elle avait caché pieusement le nom de son