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Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/401

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père… savez-vous que c’est un roman très mal fait ?

Léon se fatiguait à suivre cette vagabonde série de pensées. Il répondit pourtant :

— J’y ai cru à cause de cela.

— Bon ! fit la comtesse ; voici enfin de la lucidité. Moi aussi, peut-être, j’y ai cru à cause de cela ; mais je n’y crois jamais un jour tout entier de suite. J’ai des doutes. Ce roman mal fait contient bon nombre de vraisemblances trop habilement interpolées… Ne pensez-vous pas que cette pauvre femme, après tout, ne pouvait avoir une confiance illimitée en la bonne foi de son illustre beau-frère ?… C’est le plus spirituel, celui-là ; il est mort dans son lit avec les titres sous son oreiller, les revenus dans sa caisse…

— Mais sa fille ! murmura Léon.

— Ah ! voilà ! on ne s’avise jamais de tout. Sa fille est la pupille de Marguerite Sadoulas et de Chrétien Joulou, — la brute ! Avez-vous un peu de sang-froid dans ce moment-ci, Monsieur de Malevoy ?

— Je crois avoir tout mon sang-froid, Madame.

— Tant mieux pour vous. Nous allons bien voir !

Ses deux petits pieds touchèrent le parquet d’un mouvement brusque et son fauteuil roula vers le bureau.

— Dans quel tiroir sont vos pistolets ? demanda-t-elle en fixant sur le jeune notaire ses prunelles aiguës.

Il sourit péniblement et dit :

— J’ai ma sœur.

— Grand enfant ! fit-elle avec une sorte d’effusion. Vous y aviez donc songé ! Mourir ainsi, vous ! J’ai bien fait de venir. Je vous répète que je viens à vous en camarade, et j’ai vécu assez longtemps dans le monde des camarades pour connaître la valeur du mot. Vous ne vous servirez pas de vos pistolets, c’est moi qui vous le dis, à moins que ce ne soit comme il convient à un homme : pour écarter un rival dans un loyal combat !

Léon releva ses paupières : ses yeux interrogeaient. Elle sourit encore et dit très légèrement :

— On ne sait pas. Tout est possible. En tout cas, vous serez juge, et vous n’agirez qu’à votre guise.