Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/403

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— Tout se peut. Vous qui êtes un légiste, l’homme qui jouait de l’orgue de Barbarie sous la fenêtre de la chambre où Fualdès était assassiné, fut-il le complice du crime ? J’ai encore dans les oreilles la voix de Letanneur chantant au cabaret de la Tour de Nesle.

Allons !
Buvons !
Chantons !
Dansons !

Toute l’étude y était : toute, excepté vous…

— Pour vingt mille francs ! murmura Léon.

— Non pas ! Lecoq ne jouait pas de si maigres parties : pour une demi-douzaine de millions, s’il vous plaît !

— Savait-on déjà que le jeune homme était l’héritier de Clare ?

— Tout ce qui peut être appris, deviné ou surpris, Lecoq le savait.

— L’assassin fut donc ce Lecoq ?… commença Léon.

— Non pas, dit encore une fois Marguerite. L’assassin fut Chrétien Joulou, comte du Bréhut de Clare, tuteur actuel de la princesse d’Eppstein et mon mari.

Elle prononça ces mots avec un calme effrayant.

— Mais vous alors, balbutia Léon, vous, Marguerite ?…

— Moi ! répéta-t-elle d’une voix qui profondément tremblait.

Elle se redressa d’un mouvement lent et superbe, la comédienne sifflée. Et qui donc avait pu la siffler jamais ! Elle approcha son siège encore, et son pâle visage entra dans le cercle lumineux qui passait sous l’abat-jour de la lampe. Ses yeux brûlaient ; ses lèvres frémissaient.

— Moi ! fit-elle une seconde fois, il faudra bien enfin que vous me sachiez par cœur, Monsieur Léon de Malevoy. Moi, depuis ce soir-là, j’ai été la maîtresse de Lecoq et la femme de Joulou. Moi, je suis une misérable créature, non pas bourreau, mais victime… Attendez ! s’interrompit-elle, voyant que Léon allait parler, victime terrible, entendons-nous, victime comme on en trouve dans ces grands drames de la fatalité qui soulevaient les peuples antiques, victime avec du feu dans les