Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/411

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succès ont toujours les haricots verts ! et ceux de Soissons ! et les pommes de terre, intéressantes malades ! et les fèves et les oignons ! Tous, tous ! Louons la Providence qui nous fit naître dans ce foyer d’inépuisable intelligence !

Car l’année prochaine ce sera autre chose, et l’année prochaine autre chose encore. Et toujours poli, toujours délicat, toujours digne de Paris, « cœur et cerveau du monde. » Pour l’esprit, nous sommes des abîmes.

Donc, le 3 janvier 1843, il était cinq heures du soir et le jour tombait. Cette vieille petite rue de Sorbonne montait, solitaire et triste, entre la maison neuve du bon Jaffret et l’antique masure où florissait l’atelier Cœur-d’Acier.

La maison du bon Jaffret était exceptionnellement éclairée. On eût dit que les oiseaux, chassés de leur salon ordinaire, avaient été relégués dans la chambre du bout pour quelque circonstance solennelle. Le bon Jaffret n’était certes pas un homme de dépense, mais il offrait de temps en temps à ses amis et associés de petits dîners fins dont on parlait avec éloge.

De l’autre côté de la rue, au contraire la maison Cœur-d’Acier était noire comme de l’encre. Il n’y avait pas une lueur aux fenêtres de l’atelier.

Deux chiffonniers se rencontrèrent devant la porte même de l’atelier, sous un réverbère qu’on venait d’allumer : deux chiffonniers classiques, vêtus de loques informes, porteurs du vaste panier d’osier, du crochet et de la lanterne. Leurs costumes, qui se ressemblaient, dans leur irrémédiable ruine, provenaient cependant d’origines opposées. L’un avait une vieille veste d’ouvrier ; l’autre était vêtu d’une guenille sans nom, qui avait été un élégant paletot de drap noir.

L’homme à la veste montait la rue en chantonnant un couplet philosophique, l’homme au paletot de drap noir sortait de la maison de Jaffret en grommelant des plaintes et la tête basse.

Ils se saluèrent, ma foi, courtoisement, et l’homme en noir ayant regardé son collègue, dit :

— Tiens ! voilà un camarade que je ne