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Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/42

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colonel. Le lieutenant d’infanterie Sadoulas, un vieux brave qui avait conquis son épaulette lentement, à la pointe du sabre, avait ramené d’Espagne, en 1811, une verte Aragonaise qui plaisait beaucoup au régiment. L’Aragonaise était bonne personne, comme le sont généralement ses compatriotes. Depuis les sous-lieutenants, sortant de l’école militaire, jusqu’au gros major, homme sérieux et de poids, tout le monde avait à se louer d’elle. Aussi le lieutenant Sadoulas l’épousa. Vers la fin de 1812, elle mit au monde une petite fille que le gros major, son parrain, baptisa Marguerite-Aimée.

Le lieutenant Sadoulas mourut comme il put, ici ou là ; son Aragonaise n’avait plus déjà le temps de s’en inquiéter. Elle tenait la maison du gros major, retiré des affaires depuis 1815. Ce gros major était un bon parrain ; il mit sa filleule dans une de ces excellentes pensions qui croissent en pleine terre autour d’Écouen et de Villiers-le-Bel, pour rendre hommage à la mémoire de Mme Campan. Après quoi, l’Aragonaise et lui se brouillèrent. Il se maria ; l’Aragonaise courut la prétentaine à l’heur et la mal heur.

Un matin du mois de mai 1827, le gros major et sa femme vinrent au pensionnat. Depuis six ans qu’ils étaient mariés, ils n’avaient point d’enfants, et le gros major, plaidant avec art diverses circonstances : son âge déjà très mûr, celui de Madame qui s’en allait mûrissant également, les déplaisirs de la solitude et autres, avaient déterminé Madame à adopter la jeune Marguerite-Aimée qui donnait, au dire du brave militaire, les plus heureuses espérances. Il était en deçà de la vérité ; Marguerite-Aimée faisait mieux que promettre ; le gros major apprit, en mettant le pied dans le parloir du pensionnat, que Marguerite-Aimée avait pris son vol, la veille au soir, avec un professeur de piano, qui, lui aussi, promettait et tenait.

Marguerite avait alors quinze ans. C’était un ange, au dire de la maîtresse du pensionnat, ni plus ni moins, du reste, que toutes ses autres élèves. On parla de pendre le professeur de piano. Les jeunes camarades de Marguerite, avec une sagesse au-dessus de leur âge, voyaient les