Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/430

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me. Fermez bien les portes. Je vous souhaite un sommeil tranquille, mon ami.

Pierre s’en alla.

Quand onze heures sonnèrent, Jaffret prit sa lampe et pénétra dans le réduit où il avait parqué pour aujourd’hui ses oiseaux. Il avait besoin de voir quelqu’un. La solitude lui pesait.

Il y avait là une nombreuse et très intéressante collection de volatiles grands et petits, tous plus ou moins privés et qui étaient stylés à venir lui manger dans la bouche. Ils dormaient en ce moment sur leurs perchoirs. Aucun d’eux ne semblait avoir de mauvais rêves. Jaffret les regarda longtemps d’un œil attendri ; il fit le tour de la chambre volière, souriant à ce repos que ne connaît plus le remords. Il sourit à ses serins droits et hauts sur jambes, à ses chardonnerets, à ses rossignols, — car il avait des rossignols qu’il appelait Philomèles, ayant du goût pour les études classiques, — à ses sansonnets, à ses bouvreuils, à ses rouge-gorges, à ses bengalis, à ses cardinaux, à ses perruches, à ses aras, à ses merles, à ses fauvettes, à ses pintades, à ses faisans.

D’une voix douceâtre et fausse que la Providence lui avait départie, il fredonna :

Dormez donc mes chères amours,
Pour vous je veillerai toujours…

— Toujours ! s’interrompit-il pourtant avec un sourire amer. C’est bête que l’homme bienfaisant soit mortel comme tout le monde. Petits êtres intéressants !… vous pleurerez votre protecteur quand il ne sera plus.

Cette pensée mélancolique amena une larme dans ses yeux. Il l’essuya.

Puis, ayant quitté ses oiseaux chéris avec une parole polie, il alla ouvrir son secrétaire, où il prit une paire de ces affreux pistolets dits : coups de poing qui manquent leur homme à bout portant.

— Quand ils viendront demain, il faut qu’ils me trouvent armé, fit-il en examinant l’amorce de ses pistolets. C’est dans le rôle du factionnaire.

Il était onze heures et demie quand il revint à sa bergère avec une robe de chambre sur le dos et un bonnet de coton sur la tête.