Aller au contenu

Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/434

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


XX

Le cauchemar du bon Jaffret.


La pendule de Jaffret était toujours exacte et régulière comme le cours même du soleil. Il avait des vertus, cela est certain. Vivre à l’heure est une vertu sociale. Une statistique a établi que, sur cent faillis, il y avait en moyenne quatre-vingt-dix de ces malheureux et intolérables mortels qui arrivent au rendez-vous une heure après le moment fixé : de ces tortues mal organisées, en un mot, qui manquent les coches, les trains, les occasions, qui manquent tout !

J’ai eu un camarade, moi qui vous parle, un honnête jeune homme s’il en fut. Vers l’âge mûr, il devint sujet à caution ; son horloge retardait ; ses billets souffraient ; aux dernières et lamentables nouvelles, sa montre, arrêtée, dort dans le gousset d’un banqueroutier.

Qu’aurait-il fallu, en définitive, pour faire du bon Jaffret la perle des galants hommes ? Peu de chose : ce que la cuisinière bourgeoise, traitant un sujet plus grave, exige de ceux qui veulent faire un civet de lièvre.

La pendule de Jaffret, aiguë et argentine, répondait coup pour coup à la grosse voix du clocher de Sorbonne. La lampe baissait et le feu allait s’éteignant, jetant à ce tragique coffre-fort, qui faisait face à la cheminée, des lueurs incertaines. Les vibrations de la pendule duraient encore quand un murmure confus et de nature indéfinissable glissa parmi le silence ; vous eussiez dit un bourdonnement, produit par quantité de ces frôlements secs et sourds que rendent les bêtes mortes, clouées à la porte des logis campagnards, quand le vent nocturne tourmente leurs plumes héris-