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Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/46

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austères, le surnom de Joulou, « la Brute », couvrait toutes choses d’un pitoyable voile.

Il était pourtant, chez Marguerite, des visiteurs qui ne connaissaient point ce mystère domestique. Quand la sonnette tinta, quand cette voix jeune et sonore appela Marguerite, sur le carré, Joulou devint pâle. Marguerite dit :

— C’est le beau Roland.

— Tu as promis de ne pas le recevoir, murmura Joulou.

— J’ai promis, répéta Marguerite ; à qui ? J’étais seule : tu ne comptes pas… Et il y a des jours où il me semble que ce garçon-là est un prince déguisé. Je n’ai pas faim, à ta cuisine !

Joulou ferma les poings. Au-dehors, la voix impatiente cria :

— Marguerite, je mets le feu, si on n’ouvre pas !

Ce n’était pas une plaisanterie ; aussi Marguerite sourit. Elle poussa Joulou qui gronda et disparut dans l’étroit couloir.

— Qui vous a donné le droit d’agir ainsi chez moi, Monsieur Roland ? demanda Marguerite en ouvrant elle-même la porte du carré.

Il y avait bien un peu de théâtre dans la majesté de sa pose, mais son accent était vraiment d’une reine. Roland, devant elle, baissa les yeux comme un enfant.

Certes, il ne menaçait plus. Une rougeur pareille à celle qui naît du pudique embarras des jeunes filles couvrait sa joue.

— Si vous saviez ce qui m’est arrivé aujourd’hui, Marguerite ! balbutia-t-il, et combien je suis malheureux !

Marguerite répondit, laissant tomber à la fois son royal accent et sa pose pompeuse :

— Que voulez-vous que j’y fasse ?

De la cuisine, on entendait tout ce qui se disait sur le carré. Joulou débrocha le poulet qu’il avait éloigné du feu avant sa visite au salon. Il n’était pas maladroit pour un vicomte. Le poulet se trouvait parfaitement cuit et embaumait la cuisine exiguë. Les narines et les yeux de Joulou témoignaient sa vive satisfaction, tandis que ses sourcils froncés parlaient encore de jalouse rancune.