Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/467

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Le malade laissa retomber sa tête sur l’oreiller, et l’aspect convulsif de son visage changea comme si un vague bien-être était entré en lui.

— Merci, murmura-t-il. Oh ! non ! vous ne me voulez point de mal !

— Du chevet de ce pauvre étudiant, poursuivit le docteur, j’entendis un mot, un mot bizarre qui me frappa. Vous disiez : Je suis le PREMIER MARI de Marguerite…

La poitrine de Joulou rendit un gémissement et le docteur acheva :

— Dans votre breuvage, Monsieur le comte, il n’y avait rien, sinon ce mot-là. Marguerite Sadoulas n’est pas une empoisonneuse vulgaire. Elle tue à l’aide d’une arme invisible, subtile, sûre, qui ne laisse point de traces. L’autopsie qui ouvre la poitrine d’un mort n’y saurait retrouver ni la pensée, ni la parole. Et cependant, avec la parole, avec la pensée, Monsieur le comte, l’homme le plus robuste peut être assassiné !

Joulou songeait, plus tranquille, mais morne et harassé de son travail mental.

— Vous l’avez appelée Marguerite Sadoulas, murmura-t-il.

— Ne vous ai-je pas dit, répliqua le docteur amèrement, que je connaissais dès longtemps votre femme ? Il vint à Paris, voilà de cela treize ans, un pauvre joyeux enfant qui était officier de marine. On le nommait Julien Lenoir…

— Julien ! fit Joulou en un spasme. Julien Lenoir ! c’était votre frère !

— Marguerite Sadoulas était bien belle alors, vous souvenez-vous ? continua le docteur. Il y eut un combat extravagant entre deux jeunes gens, braves jusqu’à la folie ; sur une table de café, où chacun d’eux avait juste la place qu’il fallait pour tuer ou pour mourir… Vous avez dit vrai, Monsieur le comte, Julien Lenoir était mon frère, et sa mort a été le grand deuil de ma vie.

— Savez-vous le nom de son adversaire ? murmura le malade d’une voix plaintive et brisée.