Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/468

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Le docteur se pencha sur lui et lui donna par deux fois l’accolade fraternelle en disant :

— Celui qui tomba au coin de la rue Campagne-Première et du boulevard Montparnasse, il y a onze ans, dans la nuit du mardi-gras au mercredi des Cendres, ne vous a-t-il pas déjà pardonné ?

— Oh ! fit Joulou défaillant, vous savez tout ! et Marguerite est perdue !

Il y eut une fierté sereine dans le regard de M. Lenoir, pendant qu’il répondait :

— Je vous l’ai dit déjà une fois : mon rôle n’est pas de punir. Si cette femme n’est pas en travers de mon chemin, quand il me faudra passer pour bien faire, qu’elle aille saine et sauve, et qu’elle ait le temps de se repentir !

— Elle se repentira ! s’écria Joulou. Elle se repent déjà ! nous avons causé… Si vous saviez quels trésors de tendresses il y a dans cette âme tourmentée, que l’enfer semble habiter à de certaines heures ! Pour la connaître, il faut avoir longtemps vécu près d’elle, et vous n’avez vu d’elle que les sanglants côtés de sa vie…

M. Lenoir dit froidement :

— Je vous vois sur ce lit, à trente-quatre ans, ressemblant à un vieillard qui meurt de son grand âge, vous, Joulou du Bréhut, le fils d’une race où l’on vit jusqu’à cent ans !

— Écoutez, fit le malade, qui joignit ses pauvres mains ; elle a été bonne pour moi, ces derniers jours… Demandez à la princesse d’Eppstein ! Je ne suis pas suspect envers celle-là qui m’a rendu ma conscience. Elle n’a jamais fait de mal, jamais, entendez-vous, à Nita de Clare. Savez-vous ce qu’elle a imaginé ? C’est un noble et beau dessein : unir les deux jeunes gens, Nita et ce Roland, qui a droit à toute la fortune. Elle me l’a dit…

— Et vous l’avez crue ! murmura le docteur qui songeait.

— Comment ne pas la croire ? s’écria naïvement Joulou. Elle se sent vaincue, elle a peur, elle veut acheter son pardon.

— Il n’est pas dans la nature de Marguerite Sadoulas de se croire jamais vain-