Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/510

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la, le docteur Abel Lenoir fut appelé auprès du comte du Bréhut qui était mourant. Il donna un médicament à cette première visite et ne se prononça point. En revenant, il dit à Roland :

— Vous comptiez aller malgré moi au bal de Mme la comtesse. À présent, nous sommes du même avis. Il faut qu’on vous y voie. Vous aurez votre ancien costume de Buridan. C’est nécessaire.

Roland vint en costume de Buridan.

La comtesse et lui n’échangèrent qu’une parole.

La comtesse lui dit en le saluant :

— Monsieur le duc, les apparences ont été contre moi. Il y a dix ans que je vous cherche pour vous faire heureux et glorieux. Voulez-vous épouser la princesse d’Eppstein, ma pupille ?

— Madame, répondit Roland, je ne vous accuse pas. Je ne suis pas encore duc de Clare, et la main de la princesse d’Eppstein n’est à personne qu’à elle-même.

Ils se séparèrent. Dans la pensée de Marguerite, il était condamné sans appel.

Quand Roland s’approcha de Nita, elle lui dit :

— Je vous attendais. Vous m’avez fait faux bond pour la première contredanse.

Et comme Roland s’étonnait, elle ajouta :

Mme la comtesse me l’avait demandée pour vous, de votre part.

Mais je vous affirme qu’il n’y eut point de longues explications au sujet de ce petit mystère. Nita et Roland avaient autre chose à se dire.

— Je ne saurais pas vous exprimer, murmura la jeune fille en pressant le bras de son cousin après la contredanse finie, comme ces souvenirs vivent en moi. J’étais tout enfant, puisque voilà onze ans de cela, et pourtant, il me semble que c’était hier. Je vous vois encore sur votre lit, dans ce parloir nu et froid du couvent de Bon-Secours, avec cette vieille femme à moitié endormie à votre côté. Ma bonne tante Rolande, votre marraine, mon cousin, celle qu’on nommait la mère Françoise d’Assise, vous avait deviné. Elle aimait si bien mon oncle Raymond, votre père !… Moi, je vous regardais, pâle et beau sur ce lit. Je ne pouvais comprendre ce qu’on disait ; que vous ne parliez pas et