Aller au contenu

Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/53

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pierre et de mon âme où je descends avec orgueil. Les jours viennent où il ne sera plus malséant d’ouïr une femme qui cause philosophie. Que disais-je auparavant ? je parlais de Dieu que je remerciais de m’avoir créée forte et intrépide… Auparavant encore ? Je disais qu’il n’y a rien au monde de si beau que vous, Roland. Et c’est vrai. Rien que j’aie vu, du moins, si ce n’est moi.

Les riches contours de son cou s’accusèrent tandis qu’elle redressait sa tête d’un mouvement orgueilleux et lent.

Roland voyait des rayons tout autour de son front.

— Vous ne comprenez pas, reprit-elle en baissant les yeux avec une dédaigneuse lassitude. Personne ne comprend celles qui mettent le pied hors du sentier battu. Folles ou perverses ! On leur donne le choix entre ces deux injures. Ce qui peut exister dans leur pensée, nul ne prend souci de le chercher. Si elles disent, cependant, à l’oreille de ceux qui les admirent, comme on applaudit un ténor aux Bouffes ou un jongleur au Cirque, si elles disent : J’ai ma tâche qui est grande, mon dessein qui est hardi ; les sages raillent, les fous comme vous, Roland, remuent le fouillis de leurs romanesques lectures pour savoir à quelle héroïne idiote il faut comparer Marguerite… Il ne faut comparer Marguerite à rien, entendez-vous, Roland, ni à personne. Vous êtes beau comme elle, mais elle est forte. Êtes-vous fort ?

— Cornebœuf ! grondait le vicomte Joulou dans la cuisine, elle a dit qu’elle n’avait pas faim, et le poulet vaut mieux qu’elle ! Il n’y a ni à Paris, ni à Ploërmel, ni même à Rome, une coquine aussi coquine que celle-là, j’en suis sûr ! Puisque j’ai bu les deux bouteilles, je peux bien manger la dernière aile.

La seconde bouteille de Beaune, en effet, était vide. Le verre de Joulou aussi. Il mit la dernière aile dans son assiette et se leva pour aller chercher la cruche de bière.

— Comme on dit, pensa-t-il, j’ai bu mon pain blanc le premier… Mais est-