Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/55

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— Ange déchu, alors, de par l’arrêt du monde ! ange dégradé à qui votre mère ne voudrait pas même entr’ouvrir la porte de sa maison !

— Ah ! fit Roland qui eut comme un élancement au cœur : ma mère !

Marguerite le vit terriblement pâlir.

— Où dansez-vous, cette nuit ? demanda-t-elle d’un ton qui coupait court au précédent entretien.

— Je comptais aller où vous irez, répondit au hasard le page.

— Est-ce que la maman permet cela ? interrompit encore la reine.

Maman ! ce nom si doux, si bon, si cher quand il tombait des lèvres émues de notre Roland ! comment exprimer cela ? Ce mot sonnait ici comme une brutale profanation.

— Je vous en prie, Marguerite, murmura Roland, ne parlons pas de ma mère.

Elle pâlit à son tour. Il ajouta :

— Elle est malade… bien malade !

— Tais-toi ! l’interrompit Marguerite brusquement et comme une parole s’échappe du cœur à l’insu de l’esprit, ne parlons jamais, en effet, de ce qui peut nous séparer !

Roland releva sur elle ses yeux enivrés. Un instant leurs regards se confondirent : celui de Marguerite brûlait.

— Si je pouvais espérer… commença Roland avec tout l’élan de sa jeune passion.

— N’espère rien ! l’arrêta durement Marguerite. Je cherche un homme. Tu serais un obstacle sur mon chemin, car je t’aimerais. Je sens que je t’aimerais avec folie !

— Mon Dieu ! mon Dieu ! pria le page. Être aimé d’elle !…

— Mais sais-tu ce que cet espoir-là ferait de moi, Marguerite ! s’interrompit-il impétueusement. Sais-tu ce dont je serais capable, si tu me disais : fais, et tu seras aimé.

— Serais-tu à moi, bien à moi ? interrogea-t-elle, tandis que l’amour languissait dans ses grands yeux.

— Tout à toi !