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Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/59

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suivit Roland.

Elle dut rire en elle-même, mais une expression de hauteur se répandit sur son visage.

— Oh ! je savais bien, s’écria Roland, qui répondait en ce moment au témoignage du madras accusateur. Vous n’avez jamais été chez M. Léon Malevoy, n’est-ce pas ?

Le premier mouvement de Marguerite fut de répondre : jamais. Elles sont toutes ainsi. Leur habileté est de nier même l’évidence, vis-à-vis des aveugles qui demandent passionnément à ne point voir le soleil en plein midi. Mais elle se ravisa, parce qu’elle était comédienne et qu’un motif de scène se présentait.

— S’agit-il de M. Léon Malevoy ? demanda-t-elle.

Et sans attendre la réponse, elle ajouta d’un ton de sereine autorité :

— Roland, je vous défends de vous battre contre M. Léon de Malevoy.

— Je l’ai provoqué !

— Il vous pardonnera.

— Marguerite ! fit Roland qui se redressa droit comme un I. Excepté le bon Dieu, ma mère et vous, je ne connais personne à qui je veuille faire des excuses.

Elle sourit, car il était vraiment beau, dans sa crânerie, exempte d’emphase.

— Enfant ! murmura-t-elle, toi qui t’offrais à me servir, voudrais-tu te mettre du premier coup entre le succès et moi ?

Il n’en fallait pas plus que cela. Notre Roland tomba de son haut, comme on dit, et resta bouche béante.

C’était la conspiration. Il avait les deux pieds dans la conspiration !

Et sans doute que le madras était aussi de la conspiration !

Quelqu’un qui ne conspirait pas, c’était le vicomte Joulou, la brute. Il avait achevé son poulet, dont pas une bribe ne restait. On a de ces appétits entre Josselin et Ploërmel. Après le poulet, il avait même mangé un restant de bœuf, comme entremets sucré, pour achever son pot de bière. Maintenant il dévorait un fromage de marolles qu’il arrosait d’un grog très foncé, gardant le restant de la burette pour son