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Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/69

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la rabattre d’un geste outrageux et dénaturé. Le prétexte, hélas ! il sortait logique, éloquent, irrésistible des profondeurs de son passé.

— Il saurait qui je suis, se dit-elle encore… et d’ailleurs, la pauvreté !

Les arguments se déroulaient d’eux-mêmes et dans l’ordre où ils avaient surgi pour plaider la cause contraire.

— Il est trop bon, il est trop noble, il est trop fier. Je l’aimerais trop !

Elle n’avait pas appris à combattre avec des armes loyales.

Cette bonté, cette noblesse, cette fierté lui ôtaient justement ses moyens d’action. Elle vit la misère, hideux fantôme qui étouffe l’amour.

Quand elle se redressa, jetant en arrière le voile de ses cheveux, elle était triste encore, mais elle n’hésitait plus.

— Les musulmans ont raison, pensa-t-elle en regagnant le balcon. C’était écrit. Tout est écrit.

Roland était encore sur le banc, les deux coudes sur ses genoux, la tête entre ses mains.

Joulou avait gagné la chaussée et s’approchait de lui par-derrière.

Marguerite, droite et froide comme une statue, se mit à regarder, du haut de son balcon. L’heure était passée, l’heure de miséricorde.

Au moment où Joulou faisait un détour pour s’approcher de Roland, une lueur vacillante parut de l’autre côté du boulevard, et l’on entendit une voix rouillée qui écorchait une chanson à boire. Marguerite d’en haut, Joulou d’en bas, tournèrent à la fois les yeux vers ce nouvel obstacle qui venait au travers de leur dessein. La lueur qui sortait d’une lanterne au verre abondamment souillé n’éclairait guère que le sol, mais quand elle passa sous le réverbère le plus proche, Marguerite et Joulou distinguèrent une forme bizarre qui allait, décrivant des courbes capricieuses. La partie supérieure du corps était d’une femme. La tête disparaissait sous un ancien bonnet de bal, chargé de fleurs fanées et de bouchons de papier, comme la queue d’un