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Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/71

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garçon de cœur.

— Ohé ! Mme Théodore ! disait-il entre les couplets de sa chanson. Virginie ! ohé ! On en boit toujours du raide au Puits-sans-Vin, chez M. Reverchon ! Ça fait mal à l’estomac, mais c’est bon. Si tu avais été là, on aurait ri. On a ri tout de même, ohé ! Madame Théodore ! ohé !

Joulou s’était arrêté et caché derrière un arbre.

Marguerite serrait le balcon de sa main crispée.

Roland ne savait rien de ce qui se passait autour de lui.

— Ohé ! bourgeois ! cria le chiffonnier qui l’aperçut par hasard. Connaissez-vous Tourot ? C’est moi, Tourot… Vous allez vous enrhumer… L’an passé, j’étais avec Mme Théodore ; elle a toussé, et puis plus rien ! J’ai son châle et sa hotte, dites donc, pauvre femme ! Faut faire attention aux rhumes.

Il piqua un chiffon par habitude et s’en alla en disant :

— Vive la joie ! elle aimait ça. Bonsoir, bourgeois, n’y a pas d’offense ; j’ai bu deux litres chez M. Reverchon. J’étais à son enterrement, il n’y aura que moi au mien. Faut bien rire, dites donc, ohé !

Il tourna l’angle de la rue de Chevreuse, de l’autre côté du boulevard, et disparut.

Joulou bondit hors de sa cachette. Marguerite trembla convulsivement.

— Chrétien ! ne le frappe pas ! dit-elle d’une voix qui s’étrangla dans sa gorge.

C’était le dernier cri de la conscience, mais il ne parvint pas jusqu’à Joulou, qui déjà posait sa lourde main sur l’épaule de Roland en disant :

— Rends le portefeuille canaille !

Marguerite non plus ne pouvait entendre ce que disait Joulou, mais sa poitrine prit une longue aspiration, tandis qu’elle pensait :

— Chrétien attaque par devant ! Chrétien est brave !

C’était vrai. Le passage du chiffonnier, veuf de Virginie, avait changé le plan de bataille de Joulou. Il venait d’un pays où les gens regardent en face.