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Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/72

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Il méritait peut-être le nom de brute qui était son sobriquet, et dans les profondeurs où nous le voyons tombé, c’était heureux pour lui. Mais le gentilhomme couvait quelque part sous cette épaisse peau de dogue. Joulou était brave.

Marguerite aussi.

Roland releva sa tête. Il restait tout étourdi du choc moral qu’il venait d’éprouver et sa pensée était pleine de trouble. Il n’était pas des habitués de la Taverne ; il n’avait jamais rencontré Joulou. La vue de cet homme à la figure bouleversée, qui l’abordait tête nue, l’injure à la bouche et le poignard à la main fit naître en lui l’idée d’une méprise, fortifiée encore par le travestissement que Joulou portait.

— Mon ami, lui dit-il, passez votre chemin.

Joulou le saisit au collet et le secoua violemment. Roland était d’une force peu commune. Il se leva, mû seulement par un instinctif besoin de défense, et mit, d’un saut léger, le banc entre lui et son adversaire.

Celui-ci grommela :

— Tu es donc lâche, garçon ! Nous faisons pourtant la paire de Buridan, et tu as une dague toute semblable à la mienne… Rends le portefeuille, je te laisserai aller.

Le mot portefeuille frappa Roland, cette fois.

— Venez-vous de là ? demanda-t-il en montrant la maison de Marguerite.

Joulou grinça des dents et répondit :

— Oui, je viens de là… voleur !

En même temps, faisant usage de ce coup, fameux dans les joutes bretonnes, et que les gars du Morbihan exécutent avec une étonnante perfection, il franchit le banc d’un brusque élan et jeta sa tête dans l’estomac de Roland.

Celui-ci avait reculé d’un pas. Il reçut à deux mains le choc amorti de ce bélier qui frappant d’aplomb, eût broyé sa poitrine.

Ce fut Joulou qui roula sur le pavé de la chaussée.

— Un lion ! murmura là-haut Marguerite. Un beau jeune lion !