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Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/85

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même si Marguerite n’avait eu, par avance et d’après le témoignage même de ses yeux, la certitude que tout ceci était une effrontée comédie.

— Seigneur Enguerrand, reprit le roi Comayrol en s’adressant à Jaffret, nous vous relevons de l’accusation portée contre vous, mais nous confisquons le portefeuille en faveur de notre concierge, dont nous avons coutume d’entretenir l’amitié par de petits cadeaux, chaque fois que ces munificences ne nous coûtent rien. Vous pouvez vous retirer, Seigneur. Que Dieu vous ait en sa sainte et digne garde !

Il prit Jaffret par les épaules et le fit virer sur lui-même ; mais, dans ce mouvement, il lui glissa à l’oreille :

— Fais semblant de t’en aller et reviens. Il y en a… Nous serons à la Tour de Nesle.

— C’était bien la peine ! gronda Jaffret. Bonsoir, les vieux !

— À dodo ! cria Letanneur. C’est demain carême. Grâce au ciel, l’état de nos finances nous permettra de jeûner jusqu’à Pâques.

Ils quittèrent la place. Jaffret se dirigeant comme la première fois vers le quartier d’Enfer, les autres revenant sur leurs pas et chantant du propre accent qui convient à des vaincus, obligés, faute d’argent, à quitter le champ de bataille du mardi gras, leur refrain bachique, transformé en berceuse :

Allons !
Chantons !
Trinquons !
Buvons !

Ils dépassèrent ainsi la rue Campagne qu’ils regagnèrent bientôt après, en silence et un à un.

— Le pauvre diable a été bel et bien assassiné, dit Comayrol à voix basse, quand ils furent groupés à l’angle de la ruelle. Ça ne lui fait ni chaud ni froid que nous soyons ses héritiers. Il ne s’agit plus de s’amuser. L’affaire proposée par M. Beaufils devient possible. On soupe, les petits, mais sobrement, comme des rentiers, car avec ce qui est là-dedans, acheva-t-il en frappant sur le portefeuille, il faut que, l’hiver prochain à pareille époque, chacun de nous vive de ses rentes !