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Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/89

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de Nesle, le cabaret était en grand émoi, par suite du meurtre commis à cent pas de la porte. Comayrol eut la vertu de dire à M. Lancelot, avec un accent pénétré :

— Papa, nous voulions aller danser quelque part, mais la vue de ce malheur nous a coupé les jambes. Faites-nous servir à souper dans le grand cabinet.

M. Lancelot, bonhomme qui tenait à riche honneur de peser cent cinquante kilogrammes, trouva tout simple que l’émotion coupât les jambes et ouvrît l’appétit de ses clients. Il roula vers ses fourneaux en lançant quelques invectives contre la police mal faite, et ralluma son charbon.

Le souper était là, mais on n’avait pas faim. Le souper n’était qu’un prétexte.

Le roi Comayrol, après avoir renvoyé les garçons et mis le verrou à la porte, ouvrit le portefeuille devant tous et compta loyalement sur la nappe les vingt billets de banque qu’il contenait.

Il y eut un silence ému, et nous devons constater d’abord qu’aucune voix ne s’éleva pour mettre en doute la légitimité du droit d’épave.

— Nous sommes huit, dit M. Beaufils en comptant à la ronde.

— Neuf, répliqua le roi Comayrol, avec Léon Malevoy, si toutefois la majorité de l’assemblée l’admet au partage, malgré son absence. Je dois dire que, pour l’affaire Beaufils, Léon Malevoy serait de première utilité.

— Léon Malevoy se bat demain, dit Letanneur ; c’est moi qui suis son témoin. S’il faut parler franchement, je ne crois pas qu’il veuille toucher à une machine comme ça.

— C’est un puritain, fit observer le bon Jaffret non sans amertume. Il pose pour la délicatesse.

Beaufils secoua la tête et dit :

— Si vous n’avez pas M. Léon de Malevoy, la combinaison perd cent pour cent. C’est justement Léon de Malevoy qui aurait plu à M. Lecoq et au colonel.

— Pourquoi ça ? demandèrent plusieurs membres de l’assemblée.

— Ah ! voilà, répliqua Beaufils, en allumant un cigare. M. Lecoq ne rend de comptes à personne, mes bibis !